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Vitiligo : et si tout commençait dans l’intestin ?

Edité par : Dr Mohamed Tahar Aissani | Docteur en médecine
2 décembre 2025

Le vitiligo, pour le grand public, c’est d’abord une histoire de taches blanches qui gagnent peu à peu la peau, parfois le visage, souvent l’estime de soi. Pour le médecin, c’est une maladie auto-immune : le système immunitaire se retourne contre les mélanocytes, ces cellules qui fabriquent la mélanine et donnent sa couleur à la peau. Depuis des années, on sait que le stress oxydatif — ces radicaux libres qui abîment les cellules — joue un rôle central dans cette destruction silencieuse. Ce que la recherche commence à mettre en lumière, c’est un acteur longtemps ignoré dans cette histoire : l’intestin, et surtout le monde invisible du microbiote qui l’habite.

Des travaux récents sur des modèles murins de vitiligo ont mis en évidence un détail qui n’en est pas un : dans les selles, le sang et même la peau de ces animaux, un composé revient avec insistance, l’acide hippurique.

Lorsque l’on passe de la souris à l’être humain, la même signature réapparaît : chez les patients atteints de vitiligo, les taux sanguins d’acide hippurique sont plus élevés que chez les sujets indemnes.

Cet acide n’est pas un simple témoin passif. Il s’insère au cœur des mécanismes du stress oxydatif, en interagissant avec des protéines impliquées dans la production d’espèces réactives de l’oxygène (ROS). Autrement dit, plus l’acide hippurique circule, plus le terrain est favorable à ce climat oxydatif qui fragilise les mélanocytes.

Reste une question clé : pourquoi cet acide hippurique augmente-t-il ?
Tout converge vers un point névralgique : la barrière intestinale.

Un intestin sain, bien “scellé”, laisse passer les nutriments mais retient la plupart des molécules potentiellement toxiques. En situation de dysbiose — ce déséquilibre du microbiote intestinal — cette barrière devient plus perméable. Des composés qui devraient rester confinés dans la lumière digestive franchissent alors le mur et atteignent la circulation générale.

L’acide hippurique figure parmi ces messagers indésirables. Il devient ainsi le lien biochimique entre un intestin perturbé et une peau déjà vulnérable, participant à allumer ou entretenir l’incendie oxydatif qui caractérise le vitiligo.

Pour vérifier que le problème vient bien du microbiote, les chercheurs ont utilisé une méthode radicale : la transplantation de microbiote fécal.

En transférant les selles de souris présentant un vitiligo sévère vers des souris receveuses, ils ont constaté une aggravation de la dépigmentation. Le message est clair : un microbiote “malade” est capable, à lui seul, de pousser la peau dans le mauvais sens.

À l’inverse, lorsque l’on administre des probiotiques — des bactéries bénéfiques — la progression des lésions cutanées ralentit, parfois se stabilise. Dans certains modèles, la simple modulation du microbiote suffit à réduire le stress oxydatif et à restaurer partiellement la fonction des mélanocytes.

Derrière ces expériences, une idée simple mais révolutionnaire : jouer sur la composition de la flore intestinale peut modifier l’histoire clinique d’une maladie que l’on a toujours classée comme purement dermatologique.

Au-delà de la compréhension des mécanismes, ces travaux ouvrent une perspective très concrète : l’acide hippurique pourrait devenir un biomarqueur du vitiligo.

Imaginons, demain, une prise de sang permettant :

  • de soutenir le diagnostic dans les formes atypiques,
  • de suivre l’activité de la maladie,
  • voire de mesurer la réponse à une nouvelle stratégie thérapeutique ciblant le microbiote.

Pour les patients, cela signifierait sortir d’une médecine parfois empirique, faite d’essais et d’erreurs, pour entrer dans une approche plus personnalisée et plus objective.

Ces données ne condamnent évidemment pas les traitements actuels : photothérapie, crèmes immunomodulatrices, approches combinées. Mais elles les replacent dans un cadre plus large.

Le vitiligo apparaît de plus en plus comme une maladie systémique, au carrefour de l’immunité, du métabolisme, du microbiome et de la barrière intestinale. Dans ce contexte, de nouvelles pistes se dessinent :

  • adapter l’alimentation pour nourrir un microbiote plus protecteur,
  • utiliser des prébiotiques pour favoriser certaines souches bactériennes,
  • prescrire des probiotiques spécifiquement choisis,
  • réserver la transplantation fécale, après validation scientifique, à des formes sévères et résistantes.

Ce n’est plus seulement la peau que l’on soigne, mais la personne dans sa globalité : ce qu’elle mange, ce que son intestin transforme, ce que sa flore produit — et la manière dont tout cela se répercute jusqu’aux cellules pigmentaires.

On ne peut pas parler du vitiligo sans évoquer sa dimension humaine.
Les taches, surtout lorsqu’elles touchent le visage, les mains ou le cuir chevelu, s’accompagnent souvent de honte, de repli, parfois de discriminations. La maladie coupe certains patients de leur vie sociale, affective ou professionnelle.

Savoir que la science progresse, que l’on commence à décrypter l’enchaînement des causes plutôt que de se contenter d’en masquer les effets, n’est pas qu’un détail théorique. C’est une manière de redonner aux patients quelque chose d’essentiel : l’espoir.

L’espoir qu’un jour, traiter son microbiote, sa barrière intestinale et son stress oxydatif sera aussi naturel que d’appliquer une crème ou de suivre une séance de photothérapie. L’espoir, surtout, que le vitiligo cesse d’être perçu comme une fatalité esthétique, pour être reconnu comme une maladie complexe, mais progressivement maîtrisable.

Mots-clés : vitiligo, microbiote intestinal, microbiome, acide hippurique, perméabilité intestinale, stress oxydatif, transplantation fécale, probiotiques, prébiotiques, dermatologie intégrative.

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