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Cancer et les médicaments biosimilaires : un vide réglementaire qui inquiète les spécialistes

Edité par : Chabane BOUARISSA | Journaliste
1 juillet 2025

Alors que les traitements contre le cancer progressent rapidement, une question majeure demeure en suspens en Algérie : comment intégrer les médicaments biosimilaires dans la prise en charge des patients en l’absence d’un cadre juridique clair ? Ces biothérapies, conçues pour offrir une efficacité équivalente aux produits de référence tout en stimulant la concurrence et en réduisant les coûts — à l’image des génériques pour les médicaments chimiques — suscitent encore de nombreuses incertitudes quant à leur usage, leur substitution et leur encadrement. Bien qu’ils présentent des différences mineures de structure par rapport aux biologiques originaux, leur efficacité thérapeutique est reconnue. Pourtant, l’absence de règles précises laisse médecins, pharmaciens et patients dans un flou juridique et éthique préoccupant, ce qui pousse les professionnels de santé à tirer la sonnette d’alarme.

En pratique, plusieurs questions sensibles restent sans réponse officielle. Peut-on remplacer un médicament biologique de référence par un biosimilaire sans l’autorisation du médecin prescripteur ? Le pharmacien a-t-il le droit d’opérer ce changement en son absence ? Et surtout, faut-il informer le patient ? L’absence de directives précises sur l’interchangeabilité et le consentement éclairé soulève des préoccupations éthiques et médicales majeures.

On ne parle pas de ‘’générique’’ pour les biosimilaires car, contrairement aux médicaments génériques qui ont une substance active identique à celle du médicament de référence, les biosimilaires sont issus de biotechnologies complexes. Leur structure, souvent celle de protéines, peut varier légèrement, notamment dans leur forme tridimensionnelle, selon les cellules et les conditions de production. Bien que ces variations n’affectent pas leur efficacité, elles justifient l’usage du terme ‘’ biosimilaire’’  plutôt que ‘’générique’’, car ils sont similaires mais pas identiques.

Face à ces interrogations, les laboratoires El Kendi ont organisé, à Alger, une rencontre scientifique réunissant plus de 200 spécialistes en oncologie, pharmacie hospitalière et santé publique. L’objectif : faire le point sur l’usage des biosimilaires, notamment dans les cancers digestifs comme le cancer colorectal, et réfléchir à une meilleure intégration de ces traitements dans le système de santé.

Les biosimilaires, conçus pour reproduire l’effet des médicaments biologiques originaux (dits “princeps”), sont reconnus pour leur efficacité clinique équivalente. Leur coût réduit permet d’élargir l’accès aux soins, un atout majeur dans un contexte de pression budgétaire. Mais l’absence de cadre normatif bloque leur déploiement sécurisé à grande échelle.

Tous les spécialistes s’accordent : les biosimilaires représentent une avancée stratégique pour la santé publique. Ils permettent de traiter plus de patients tout en réduisant les dépenses. Toutefois, leur usage sans réglementation expose à des risques : erreurs de substitution, confusion dans le parcours de soin, responsabilité médicale floue.

« Sans règles claires, la substitution devient source d’incertitude », résume un oncologue. Ce manque d’encadrement nuit autant à la confiance des soignants qu’à la sécurité des patients.

Les biosimilaires sont aussi efficaces que les biothérapies de référence. En raison de leurs légères différences de structure, ils doivent faire l’objet d’études cliniques spécifiques pour prouver que leur efficacité thérapeutique n’est pas altérée. Ces tests permettent de confirmer, au-delà de l’absorption et de l’élimination, que les variations de structure 3D n’ont pas d’impact sur leur action, assurant ainsi une efficacité équivalente.

Le professeur Blaha Larbaoui, oncologue au centre anticancer d’Oran, a témoigné de l’évolution des perceptions : « Au départ, on était méfiants, mais les données issues de l’expérience européenne nous ont rassurés. Aujourd’hui, lorsqu’un médicament princeps est indisponible, il est possible de passer à un biosimilaire, à condition d’en informer le patient. »

Sur la disponibilité des traitements, il se veut rassurant : « Contrairement aux rumeurs, les chimiothérapies classiques, les traitements ciblés et même les médicaments les plus coûteux sont disponibles. À Oran, l’arrivée de nouveaux équipements a réduit le délai d’attente en radiothérapie de six mois à seulement deux. »

Mais il reconnaît des inégalités territoriales criantes : « À Alger, la pression est bien plus forte. Trois grands centres tentent de répondre aux besoins de plus de 7 millions d’habitants, sans qu’aucun nouveau centre n’ait été programmé depuis des années. »

Le professeur Isma Kerboua, cheffe du service d’oncologie au Centre Pierre-et-Marie-Curie d’Alger, revient sur l’introduction progressive des biosimilaires dans le pays : « Le premier biosimilaire a été enregistré en 2021, un autre en 2023. Depuis, leur usage se développe. Leur intérêt économique est évident. Mais il est urgent d’instaurer une réglementation qui protège toutes les parties prenantes. »

Même constat du côté du professeur Fernando de Mora, pharmacologue et expert auprès de l’Agence européenne des médicaments : « Les biosimilaires sont essentiels pour un système de santé performant. Ils réduisent les coûts et améliorent l’accès. Mais si un seul produit est disponible, cela crée des inégalités. Il est donc capital de garantir l’accès à plusieurs alternatives, toutes rigoureusement contrôlées. »

La dimension éthique a occupé une place centrale dans les débats. Tous les intervenants ont souligné que le patient doit être informé de toute substitution, même si elle est permise dans certains pays. « Le consentement éclairé ne peut être négligé. Informer le patient est un impératif moral, surtout en l’absence de cadre légal formel », insiste le professeur de Mora.

La vice-présidente du laboratoire El Kendi a conclu en insistant sur l’impact humain de ces innovations thérapeutiques : « Nous sommes fiers de mettre à disposition des médicaments reconnus par les grandes agences internationales. Ils sont utilisés aux États-Unis, en Europe, au Moyen-Orient… et désormais aussi ici, pour nos familles, nos enfants, nos proches. »

Les biosimilaires représentent une avancée majeure pour le traitement du cancer en Algérie. Mais en l’absence d’un cadre réglementaire clair, leur utilisation soulève des risques pratiques, juridiques et éthiques. Pour garantir une prise en charge sûre, équitable et efficace, médecins et experts appellent à l’adoption rapide d’une législation encadrant leur usage, leur substitution et le consentement du patient.

Mots clés : cancer ; santé ; traitement ; médicament ; soin ; biosimilaire ;