Alors que la santé mentale devient Grande cause mondiale 2025, les discours se multiplient. Mais entre bien-être, souffrance psychique et psychiatrie, les frontières se brouillent. Le neuroscientifique Salim BENLEFKI, rencontré en marge de son intervention ce week-end au Salon de la pharmacie d’Oran (Pharmex 2025), remet les pendules à l’heure,
Une notion omniprésente, mais mal comprise
La santé mentale s’est imposée au cœur du débat public. Des campagnes de sensibilisation aux plateformes d’écoute en ligne, tout le monde en parle. Pourtant, le terme est devenu si large qu’il engloutit tout : stress, anxiété, épuisement, tristesse, voire quête de bonheur permanent. « Le risque, c’est de vider la notion de son sens, de tout psychiatriser ou, au contraire, de tout réduire à un simple mal-être », alerte-t-il. « La santé mentale n’est pas seulement l’absence de maladie, c’est une capacité à vivre, à se relier aux autres et à affronter les aléas de la vie. »
De la psychiatrie au bien-être : un glissement de terrain
Pour Dr Salim Benlefki, il faut revenir à une définition rigoureuse : L’Organisation mondiale de la santé (OMS) décrit la santé mentale comme un état de bien-être dans lequel une personne peut réaliser son potentiel, faire face au stress normal de la vie, travailler de manière productive et contribuer à sa communauté.
Mais il nuance aussitôt : « Je préfère l’image d’un trajet à vélo : il y a des montées, des descentes, des crevaisons… L’équilibre n’est jamais parfait. La santé mentale, c’est avancer malgré les obstacles, avec ses propres ressources. »
Cette vision dynamique rompt avec l’idée d’un état fixe de “bien-être absolu”. Elle replace la souffrance psychique dans la réalité de l’existence : parfois douloureuse, toujours humaine.
Quand la détresse devient une opportunité commerciale
Internet et les réseaux sociaux ont transformé la souffrance psychique en opportunité économique. En quelques années, une véritable industrie du “mieux-être” s’est imposée, mêlant développement personnel, pseudo-thérapies et promesses de bonheur instantané.
Aujourd’hui, le marché mondial de la santé mentale et du bien-être psychologique pèse plusieurs milliards de dollars, selon les estimations de l’OMS et de cabinets spécialisés. Une croissance portée par la demande croissante de solutions rapides face au stress, à l’anxiété ou à la perte de sens.
« On vend des solutions miracles pour tout : l’estime de soi, la motivation, la sérénité. Le problème, c’est que ces approches ne reposent sur aucune base clinique solide », alerte Dr Salim Benlefki, neuroscientifique. Sur Internet, il suffit de quelques heures de formation pour se proclamer “coach en résilience” ou “thérapeute énergétique”. Les plateformes regorgent de tests de personnalité, de vidéos virales et de conseils psychologiques non validés scientifiquement.
Des pratiques à risque
Derrière ces discours séduisants se cache parfois un réel danger. « Le risque, c’est de banaliser la souffrance, voire de détourner les personnes des soins adaptés », poursuit le spécialiste. En cherchant des solutions rapides, certaines personnes fragiles se retrouvent isolées, culpabilisées, ou perdent un temps précieux avant une prise en charge médicale.
Certaines méthodes peuvent même aggraver les troubles existants, notamment en véhiculant des messages culpabilisants du type “si tu veux, tu peux”. Une rhétorique trompeuse, qui laisse croire que la guérison ne dépend que de la volonté, alors que la dépression, l’anxiété sévère ou les troubles du comportement nécessitent souvent un suivi médical et psychothérapeutique structuré.
Retrouver le sens du soin
Pour Dr Benlefki, il est urgent de « redonner à la psychiatrie et à la psychologie clinique leur place légitime ». L’enjeu n’est pas de s’opposer au développement personnel, mais de rappeler les limites entre accompagnement de vie et soin médical. « Un mal-être n’est pas toujours une maladie, mais certaines souffrances relèvent clairement d’un trouble qu’il faut diagnostiquer et traiter », insiste-t-il.

Quand la science éclaire l’esprit
Les neurosciences jouent aujourd’hui un rôle clé pour mieux comprendre les troubles mentaux et leurs mécanismes biologiques. Grâce à l’imagerie cérébrale et aux progrès de la recherche, les scientifiques peuvent observer les circuits neuronaux impliqués dans l’émotion, le stress, la mémoire ou la motivation.
Ces découvertes ont permis de mieux identifier les causes physiologiques de troubles comme la dépression, l’anxiété ou la schizophrénie, et de développer des traitements plus ciblés, qu’ils soient médicamenteux ou psychothérapeutiques. « La santé mentale n’est pas qu’une question de volonté ou d’attitude. C’est aussi une question de biologie cérébrale », rappelle le Dr Benlefki.
Les neurosciences rappellent ainsi que les émotions et les comportements ne relèvent pas uniquement du mental, mais reposent sur des processus neuronaux complexes, influencés par la génétique, l’environnement et l’expérience de vie.
Santé mentale et psychiatrie : deux mondes complémentaires
Face à cette confusion, les psychiatres rappellent que la santé mentale n’est pas une alternative à la psychiatrie, mais un champ plus vaste qui inclut la prévention, la psychologie, la médecine et le social. « La psychiatrie ne se limite pas à traiter les maladies graves comme la schizophrénie ou la dépression sévère. Elle aide aussi à comprendre les fragilités psychiques, à restaurer des équilibres de vie, à reconstruire du sens », explique Dr Benlefki.
L’enjeu, selon lui, est de recréer un dialogue entre le soin médical, la prévention communautaire et les approches psychothérapeutiques validées scientifiquement.
Recommandations : comment prendre soin de sa santé mentale
1. Ne pas attendre le point de rupture : Un mal-être persistant, des troubles du sommeil, une perte d’intérêt ou d’énergie sont des signaux précoces à ne pas ignorer.
2. Consulter un professionnel formé : Psychiatres, psychologues cliniciens, médecins généralistes : ce sont eux qui évaluent, orientent et proposent un accompagnement adapté.
3. Se méfier des promesses trop simples : Une méthode universelle ou un “coach en 3 séances” n’existe pas. La santé mentale se travaille sur la durée, dans un cadre thérapeutique sécurisé.
4. Cultiver ses ressources internes : Activité physique régulière, sommeil réparateur, alimentation équilibrée, liens sociaux et temps de repos sont les piliers d’un esprit résilient.
« La santé mentale, c’est apprendre à tomber sans se casser »
Pour Dr Benlefki, prendre soin de son mental, c’est accepter la fragilité comme une composante de la vie. « La santé mentale, ce n’est pas être heureux tout le temps, c’est savoir rebondir, demander de l’aide et reconnaître ses limites. »
Mots clés : santé ; mentale ; psychologie ; psychiatrie ; activité ; thérapie ;
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