
Depuis quelques années, un concept venu du monde associatif bouleverse notre vision du handicap. Il remet en question notre manière d’interpréter certains troubles neurodéveloppementaux et psychiatriques. Ce concept, c’est la ‘’neurodiversité’’.
Un changement de regard sur le handicap
Il part d’une idée simple, mais puissante : il n’existe pas un seul type de cerveau “normal”. Cette remise en question du standard biologique habituel pousse à revoir en profondeur les critères de diagnostic, les méthodes d’accompagnement et la manière dont la société perçoit les différences.
Des standards précis pour tout… sauf le cerveau
Il n’existe pas un “cerveau de référence” censé représenter la norme. Pourtant, depuis des siècles, des scientifiques ont tenté d’en créer un : corrélation entre poids du cerveau et intelligence, tests de QI, classifications psychiatriques rigides…
Les recherches en neurosciences ont progressivement démonté ces modèles. Le fonctionnement du cerveau humain ne peut pas être réduit à une grille unique. Chaque cerveau développe ses propres forces, faiblesses, et caractéristiques.
Qu’est-ce que la neurodiversité ?
La neurodiversité désigne la variabilité naturelle du cerveau humain. Le mot a été introduit en 1998 par Judy Singer, une sociologue australienne, qui a comparé cette diversité neurologique à la biodiversité dans la nature.
Aujourd’hui, on estime que 15 à 20 % de la population mondiale présente un fonctionnement neurologique atypique. Ces personnes sont dites ‘’neurodivergentes’’. À l’inverse, les individus dont le développement neurologique suit les schémas attendus sont qualifiés de neurotypiques.
Neurodivergents et neurotypiques forment ensemble la richesse de la neurodiversité humaine.
Troubles ou conditions ? Un changement de vocabulaire
Les personnes neurodivergentes ont souvent des diagnostics comme le TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), l’autisme, la dyslexie ou des troubles anxieux. Certains préfèrent parler de conditions plutôt que de troubles, pour éviter une vision médicalisée qui pathologise leurs différences.
Par exemple, on parle de plus en plus de ‘’Condition du Spectre de l’Autisme (CSA)’’ à la place du Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA). Mais ce changement de terminologie reste encore absent des manuels diagnostics officiels.
Comment naît la diversité cérébrale ?
La formation du cerveau repose sur deux grands processus :
- l’un programme les fonctions de base communes à tous les humains ;
- l’autre façonne les qualités, talents et styles cognitifs individuels.
Les gènes dirigent ce développement, mais ils n’agissent pas seuls. L’environnement joue un rôle essentiel :
- alimentation,
- qualité des soins,
- sécurité affective…
Ces facteurs influencent la création des réseaux neuronaux.
Résultat : nous avons tous un cerveau humain, mais aucun cerveau n’est identique à un autre.
Cette variation n’est pas une pathologie. C’est une diversité fonctionnelle.
Neurodiversité : un fait biologique, pas une idéologie
- Un fait scientifique, pas une idéologie : La neurodiversité repose sur une observation validée par les neurosciences : le cerveau humain ne suit pas un modèle unique. Il existe une immense variété de façons de percevoir, de penser, de ressentir et d’agir. Cette diversité cognitive est naturelle et inhérente à l’espèce humaine.
- Ni un choix personnel, ni une méthode thérapeutique : La neurodiversité n’est pas une approche de soin, ni un mouvement idéologique ou politique. C’est une réalité biologique, au même titre que la diversité génétique ou morphologique. Elle ne cherche pas à « guérir » quoi que ce soit, mais à reconnaître que certaines différences neurologiques ne relèvent pas d’un dysfonctionnement.
- Une notion collective, pas individuelle : Une personne seule n’est pas ‘’neurodiverse’’. Elle est neurodivergente si son fonctionnement neurologique diffère de la norme statistique. Le terme neurodiversité désigne la variété des fonctionnements cérébraux au sein d’un groupe ou d’une population, tout comme la biodiversité reflète la variété des formes de vie.
- Un changement de paradigme culturel et scientifique : La neurodiversité nous invite à revoir notre manière de penser les différences cognitives. Plutôt que de considérer des conditions comme l’autisme, le TDAH ou la dyslexie uniquement comme des troubles à corriger, on les reconnaît comme des expressions naturelles de la variabilité humaine. Cela ne nie pas les difficultés rencontrées, mais cela appelle à des réponses plus inclusives que normatives.
- Vers une société plus inclusive : En valorisant la diversité cognitive au lieu de la stigmatiser, la neurodiversité ouvre la voie à une meilleure reconnaissance des besoins spécifiques, sans jugement ni hiérarchie. Cela permet de concevoir des environnements (éducatifs, professionnels, sociaux) plus adaptés à tous, et pas uniquement à ceux qui entrent dans la norme.
Une autre façon de penser le handicap
L’auteur Thomas Armstrong, pionnier de ce mouvement, résume bien cette idée : « De nombreuses différences longtemps vues comme des troubles neurologiques pourraient en fait être des formes naturelles de la diversité humaine. »
Il propose de voir ces particularités comme des forces cachées qu’on peut développer dans un environnement adapté.
Les 8 principes de la neurodiversité
Selon Armstrong et Lopera Murcia, la neurodiversité repose sur 8 idées fondamentales :
- Le cerveau humain fonctionne comme un écosystème, pas comme une machine : Contrairement à une machine rigide, le cerveau est vivant, dynamique et en constante interaction avec son environnement. Il évolue, s’adapte, et développe des connexions en fonction de ce qu’il vit, un peu comme un écosystème complexe et interconnecté.
- Les capacités humaines se distribuent sur des spectres continus : Les compétences comme la mémoire, l’attention, la lecture ou la sociabilité ne sont pas simplement “présentes” ou “absentes”. Elles varient d’une personne à l’autre sur un continuum. Il n’existe pas de seuil unique entre “normal” et “anormal”.
- Ce que l’on considère comme une compétence est influencé par la culture : Ce qu’une société valorise comme une “capacité” peut ne pas l’être ailleurs. Par exemple, l’aisance en communication orale peut être cruciale dans une culture, mais secondaire dans une autre. Les critères de compétence sont donc en partie subjectifs.
- Être vu comme compétent ou en difficulté dépend du contexte : Un même fonctionnement cognitif peut être valorisé ou stigmatisé selon le cadre. Un enfant très actif peut être perçu comme distrait à l’école mais brillant sur un terrain de sport ou dans un cadre créatif.
- Le succès résulte de l’adaptation du cerveau à son environnement : Chacun a la capacité d’apprendre et de s’épanouir s’il trouve un environnement qui correspond à son fonctionnement neurologique. Il ne s’agit pas seulement de “corriger” une personne, mais de l’aider à trouver un cadre dans lequel elle peut exprimer son potentiel.
- Mais il faut aussi pouvoir adapter l’environnement au cerveau : L’inclusion ne passe pas seulement par des efforts de la personne, mais aussi par des aménagements extérieurs : pédagogies différenciées, conditions de travail souples, soutien émotionnel, technologies d’assistance…
- Ces ajustements prennent la forme de “niches de développement’’ :Une niche de développement est un environnement personnalisé où une personne peut s’épanouir: cela peut être un choix de carrière aligné avec ses forces, un choix de vie, l’usage d’un outil technologique, ou un accompagnement spécialisé qui répond à ses besoins.
- Construire ces niches renforce la capacité d’adaptation du cerveau : Plus une personne évolue dans un environnement qui respecte ses particularités, plus son cerveau développe de nouvelles aptitudes. L’inclusion ne bénéficie donc pas seulement au bien-être, mais aussi au développement cognitif lui-même.
Focus sur le TDAH : un trouble ou un autre style cognitif ?
Le TDAH est l’un des diagnostics les plus fréquents chez les enfants. Il se caractérise par de l’agitation, des difficultés de concentration et de l’impulsivité.
Mais si on changeait de regard ? Si on voyait ces enfants non pas comme “déficients”, mais comme en décalage de développement ?
Des études montrent qu’ils ont souvent 2 à 3 ans de retard sur le plan de la maturation cérébrale. Ils ne sont pas dysfonctionnels, juste différents dans leur rythme.
La biologie appelle cela la ‘’néoténie’’ : En biologie, on parle de néoténie pour désigner le fait de conserver des caractéristiques juvéniles plus longtemps dans le développement. Ce phénomène, loin d’être un simple retard de maturation, peut être une stratégie évolutive bénéfique, notamment chez l’être humain.
La néoténie ne se manifeste pas seulement par des traits physiques, mais aussi par des traits cognitifs et comportementaux :
- une plus grande plasticité cérébrale,
- une curiosité persistante,
- une imagination vive,
- une capacité à apprendre tout au long de la vie…
Autant de qualités souvent associées à la créativité.
Des esprits brillants comme Albert Einstein en sont un exemple frappant. Il reconnaissait lui-même avoir eu un développement intellectuel plus lent que la moyenne, ce qui lui a permis de conserver un regard neuf sur le monde à l’âge adulte. Cette forme de “jeunesse mentale” l’a aidé à remettre en question des concepts établis et à proposer des théories révolutionnaires.
Ainsi, la néoténie peut être vue comme un atout caché de l’évolution : en maintenant vivantes certaines caractéristiques de l’enfance – comme la capacité d’émerveillement, la souplesse de pensée ou le goût du jeu – elle favorise l’émergence d’idées nouvelles et l’adaptation à un monde en perpétuel changement.
Le TDAH est parfois vu comme le cerveau du chasseur dans un monde d’agriculteurs : Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est parfois décrit comme l’expression moderne d’un cerveau de chasseur, évolué pour survivre dans des environnements imprévisibles, en contraste avec le cerveau d’agriculteur, plus adapté à la routine, à la planification à long terme, et à la constance.
Le cerveau “chasseur” est vigilant, réactif, constamment en alerte. Il capte les moindres signaux de l’environnement, change rapidement de point d’attention, suit son intuition, et agit sur le vif. Autrefois, ces traits étaient essentiels pour repérer un danger, suivre une proie ou réagir à des situations imprévues. Aujourd’hui encore, ils représentent un atout précieux dans certains contextes professionnels et créatifs.
Malgré les difficultés souvent associées au TDAH (comme la distraction, l’impulsivité ou la difficulté à gérer les délais), ce fonctionnement cérébral particulier offre aussi de grandes forces :
- Une créativité vive, nourrie par une pensée associative rapide ;
- Une curiosité insatiable, qui pousse à explorer de nouveaux domaines ;
- Une réactivité élevée, utile dans les situations de crise ou de changement ;
- Une capacité à hyperfocaliser, c’est-à-dire à se plonger intensément dans une tâche qui passionne, avec une concentration hors norme.
Plutôt que de voir le TDAH uniquement comme un trouble à corriger, on peut le reconnaître comme une forme naturelle de neurodiversité, avec ses défis mais aussi ses atouts. Tout dépend du contexte et de l’environnement dans lequel cette singularité cognitive évolue.
Créer des environnements adaptés
L’un des enjeux majeurs de la neurodiversité, c’est d’aménager l’environnement pour qu’il valorise les forces uniques des personnes neurodivergentes. On appelle cela construire une niche.
Par exemple, dans l’industrie du logiciel, des entreprises recrutent des personnes autistes pour des missions de tests de logiciels. Ces tâches répétitives, que beaucoup fuient, conviennent parfaitement à leurs compétences :
- mémoire visuelle,
- souci du détail,
- intolérance à l’erreur,
- concentration intense…
Changer de regard, c’est aussi cesser de parler uniquement des difficultés et commencer à reconnaître les qualités spécifiques qui peuvent faire la différence.
Vers une société inclusive
La neurodiversité transforme notre manière d’aborder le handicap, la santé mentale, l’éducation et le travail. Elle pousse à personnaliser l’accompagnement, à adapter les environnements plutôt que de vouloir corriger l’individu.
Il reste encore beaucoup à faire pour que les mentalités évoluent. Mais un fait reste indiscutable : nous sommes tous neurodivers. Aucun cerveau ne ressemble à un autre. Et dans cette différence, se cache notre plus grande richesse.
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