À l’heure où les réseaux sociaux regorgent d’un flot d’informations, entre vérités scientifiques et intox séduisante, une rumeur préoccupante a récemment refait surface : une plante naturelle serait capable de guérir les enfants autistes. Derrière cette affirmation, qui semble à première vue pleine d’espoir, se cache une menace sérieuse pour la santé des enfants et une pression psychologique pesante sur les parents, souvent prêts à tout croire dans l’espoir d’une issue.
Afin d’aborder ce sujet sensible, nous avons rencontré Dr Souad BRAHIMI, médecin spécialiste, pour analyser cette tendance inquiétante à travers un prisme scientifique.
Ma santé, ma vie : Docteure, que pensez-vous des rumeurs prétendant qu’une plante pourrait traiter les troubles du spectre autistique ?
Dr Souad BRAHIMI : Malheureusement, ces rumeurs ne reposent sur aucune base scientifique crédible et sont même dangereuses. Elles donnent aux parents d’enfants atteints d’autisme de faux espoirs, en leur laissant croire à une solution miracle capable de mettre fin à leur souffrance et de ramener leur vie à la normale. Le trouble du spectre autistique est une condition neurodéveloppementale complexe qu’on ne peut pas réduire à une “herbe” ou à une recette traditionnelle relayée sur les réseaux sociaux via de courtes vidéos ou des publications virales. Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que ces idées ne s’appuient ni sur des études cliniques validées, ni sur des publications scientifiques revues par des pairs. Elles reposent uniquement sur des témoignages isolés, non généralisables. La médecine ne se base pas sur les impressions, mais sur des preuves rigoureuses obtenues grâce à des outils de recherche précis.
Ce que l’on voit actuellement n’est rien d’autre qu’un commerce de l’espoir, et c’est profondément regrettable car cela détourne les familles des vraies pistes thérapeutiques.
Existe-t-il des études scientifiques qui soutiennent de telles affirmations ?
Absolument pas. À ce jour, aucune preuve scientifique ou recherche rigoureuse ne démontre qu’une plante ou un extrait végétal pourrait traiter l’autisme. Les “success stories” ou expériences personnelles partagées en ligne ne sont pas fiables tant qu’elles ne sont pas validées par des protocoles académiques stricts, incluant des études en laboratoire, des essais cliniques sur l’humain, une surveillance des effets secondaires, et une évaluation objective des résultats. En réalité, on observe ici une exploitation du vide entre l’espoir et le désespoir, entre l’ignorance et la quête de solution, même si elle est illusoire.
Si une étude scientifique sérieuse devait être menée sur l’autisme, quels types de spécialistes devraient y participer ?

C’est une question essentielle, car on ne peut pas comprendre, prendre en charge ou étudier scientifiquement l’autisme avec une seule spécialité médicale. Il faut une véritable complémentarité interdisciplinaire. Une étude rigoureuse doit impliquer un neurologue pédiatrique pour analyser la structure cérébrale et le développement neurologique, un pédopsychiatre pour examiner le comportement et les émotions, un orthophoniste pour évaluer les capacités de communication, un psychomotricien pour étudier l’interaction sensorimotrice, un spécialiste en analyse comportementale appliquée pour observer les changements comportementaux subtils, un généticien pour explorer les causes héréditaires possibles, un nutritionniste pour analyser les liens entre alimentation et comportement, et enfin un chercheur clinique chargé de concevoir et de suivre l’étude selon les protocoles scientifiques et éthiques en vigueur. Seul ce type de travail collectif peut produire des résultats fiables, utiles aux enfants et à l’avancement des connaissances sur l’autisme.
Et les plantes médicinales ? Ne peuvent-elles pas jouer un rôle complémentaire dans le traitement ?
Effectivement, certaines personnes ont recours aux plantes dans le cadre de ce qu’on appelle la médecine alternative ou complémentaire. Mais il est essentiel de clarifier un point très important : la médecine alternative ne peut en aucun cas remplacer la médecine. Elle peut, dans certains cas bien précis, être utilisée comme soutien, mais uniquement sous une supervision médicale rigoureuse, après analyse des composants de la plante, de son dosage, et de ses interactions potentielles avec d’autres traitements.
Ce qui rend la rumeur récente particulièrement dangereuse, c’est qu’on présente la plante comme une “solution définitive” ou une “guérison radicale”. Cela n’existe ni dans la science, ni dans la réalité. L’ingestion incontrôlée de certaines plantes peut même entraîner des complications graves, surtout chez les enfants, dont les organismes sont plus sensibles. Nous ne rejetons pas ce qui est naturel en soi, mais nous rejetons fermement la promotion de tout produit comme un remède sans qu’il n’ait été soumis à l’expérimentation, à l’analyse et à la validation scientifique. Comme vous le savez, la santé ne tolère aucune prise de risque, et encore moins lorsqu’il s’agit de celle d’un enfant atteint d’un trouble aussi complexe que l’autisme.
Pourquoi certaines personnes croient-elles à de telles rumeurs, malgré l’absence de preuves scientifiques ?

Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. Le premier est psychologique et émotionnel. Les parents d’enfants autistes vivent sous une pression constante et une souffrance quotidienne souvent invisible aux yeux des autres. Ils s’accrochent alors à tout espoir, même s’il est irrationnel ou non fondé.
Une autre raison est le manque d’éducation sanitaire dans une partie de la société, ce qui la rend plus vulnérable aux discours émotionnels ou aux « histoires à succès » propagées sans aucune vérification scientifique.
Il y a également l’effet de ce qu’on appelle « l’autorité d’internet » ou des tendances virales : certains pensent qu’une information devient crédible simplement parce qu’elle est partagée massivement. C’est une erreur très fréquente. À cela s’ajoute le rôle néfaste de certains influenceurs ou pseudo-thérapeutes non qualifiés, qui exploitent les plateformes numériques pour diffuser de telles affirmations, que ce soit pour un gain financier ou pour rechercher la célébrité. Ce climat devient alors un terrain fertile pour la désinformation, surtout quand le public visé est en situation de détresse psychologique ou affective.
Quel est le rôle des médias et des institutions de santé pour freiner ce phénomène ?
Le rôle des médias est aussi crucial que celui des médecins ou des chercheurs, voire plus influent parfois, car les médias pénètrent tous les foyers et façonnent la conscience collective en un temps très court. C’est pourquoi les médias doivent assumer leur responsabilité éthique dans le traitement des informations liées à la santé. Ils doivent éviter l’exagération ou la promotion trompeuse de traitements dont l’efficacité n’a pas été scientifiquement prouvée. Les messages de santé doivent être précis, exprimés dans un langage simple et clair, qui respecte la sensibilité du public sans lui vendre de faux espoirs.
À ce titre, je tiens à saluer certaines initiatives médiatiques sérieuses, comme le magazine ‘’Ma santé, ma vie’’, qui représente un exemple respectable de journalisme de santé responsable. Ce magazine contribue efficacement à la diffusion de la culture de la vérification scientifique, à la lutte contre les rumeurs médicales, et à la vulgarisation des concepts médicaux auprès du grand public. Ce qui distingue ce support, c’est qu’il publie des articles rédigés par des spécialistes et des médecins praticiens, offrant des analyses rigoureuses et des opinions fiables. Cela en fait une source digne de confiance, particulièrement précieuse dans le chaos informationnel que connaît internet.
Quant aux institutions sanitaires, elles doivent mener des campagnes de sensibilisation sur le terrain et en ligne, ouvrir des canaux de communication directs avec les parents et les personnes concernées, et proposer des alternatives éducatives basées sur des faits et des études. Car lorsqu’on laisse un vide informationnel, il est inévitablement comblé par des rumeurs.
Quel message souhaitez-vous adresser aux parents d’enfants autistes face à ce chaos médiatique ?

Mon message, avec tout l’amour et le respect que je leur porte, est de ne jamais abandonner l’espoir, mais de ne pas permettre qu’on leur vende des illusions. Vous vivez une expérience humaine difficile, qui mérite accompagnement et soutien, mais la solution ne viendra ni d’une vidéo sur les réseaux sociaux, ni d’une recette improvisée partagée par un inconnu.
Le véritable chemin vers l’amélioration de l’état de vos enfants passe par la science, l’accompagnement psychologique, les thérapies comportementales, et surtout la patience. Il n’existe peut-être pas de « médicament miracle » contre l’autisme, mais il existe bel et bien des approches scientifiques validées qui permettent à l’enfant de progresser, de s’intégrer et de s’épanouir.
Et je le dis clairement : votre enfant n’est pas un cas désespéré, ni un malade qu’une herbe va guérir. C’est un être humain unique, avec ses particularités, et il a besoin qu’on lui offre une chance – scientifique et humaine – de révéler son potentiel.
Mots-clés : autisme, plantes médicinales, rumeurs, médecine alternative, éducation sanitaire, enfants, études scientifiques.