Une Bonne Santé pour une Vie Meilleure

Syndrome de Korsakoff : la démence évitable que l’on préfère ignorer

Edité par : Dr Salim BENLEFKI | Docteur en neurosciences
2 novembre 2025

Oublis soudains, repères brouillés, conversations effacées quelques minutes plus tard… Derrière ces signes discrets se cache une démence pourtant évitable : le syndrome de Korsakoff. Ce trouble neurologique, conséquence directe d’une carence en vitamine B1 (thiamine) souvent liée à une consommation chronique d’alcool, reste largement sous-estimé dans le monde.

Une maladie liée à l’alcool, méconnue et sous-diagnostiquée

Selon plusieurs études, l’alcool est la première cause de démence précoce avant 65 ans dans les pays occidentaux. Pourtant, peu de campagnes d’information existent, et la majorité des cas sont diagnostiqués tardivement, parfois à un stade irréversible.

Le syndrome de Korsakoff correspond à la phase chronique et souvent irréversible d’une atteinte aiguë appelée encéphalopathie de Wernicke. Ensemble, elles forment ce que les médecins nomment le syndrome de Wernicke-Korsakoff.

Deux mécanismes se conjuguent :

  • La toxicité directe de l’alcool sur le cerveau,
  • Et surtout, le déficit en thiamine, nutriment essentiel au fonctionnement cérébral.

Sans thiamine, les neurones s’abîment dans les zones responsables de la mémoire et de l’orientation.

La vitamine B1 ne peut être fabriquée par l’organisme. Elle doit être apportée chaque jour par l’alimentation — environ 1 à 2 mg quotidiens — via des sources comme les céréales complètes, la viande de porc, la volaille, le soja, les noix, les légumineuses et les produits céréaliers enrichis.

L’alcool perturbe gravement ce métabolisme :

  • il réduit l’absorption intestinale de la thiamine,
  • épuise les réserves hépatiques,
  • et augmente sa consommation cellulaire.

Chez une personne mal nourrie ou dépendante à l’alcool, la carence s’installe rapidement, ouvrant la voie à des lésions cérébrales irréversibles.

Le tableau clinique typique du syndrome de Korsakoff comprend :

  • une amnésie antérograde (impossibilité de former de nouveaux souvenirs),
  • une désorientation temporelle et spatiale,
  • des confabulations (le patient invente sans s’en rendre compte pour combler les vides),
  • une ataxie (troubles de l’équilibre et de la marche),
  • des troubles oculomoteurs,
  • et une anosognosie (inconscience du trouble).

Le malade peut paraître cohérent, discuter normalement, puis oublier entièrement l’échange quelques minutes plus tard.

Contrairement à une idée répandue, la triade classique « confusion, ataxie, troubles oculomoteurs » ne suffit pas : elle n’est complète que chez 16 % des patients.

Les critères de Caine, plus fiables, recommandent de suspecter une encéphalopathie de Wernicke dès qu’au moins deux éléments sont présents :

  • déficit nutritionnel,
  • troubles oculomoteurs,
  • ataxie,
  • confusion ou troubles de la mémoire.

Important : administrer immédiatement de la thiamine par voie intraveineuse ou intramusculaire, avant toute perfusion de glucose.

Donner du glucose sans vitamine B1 peut aggraver les lésions en quelques heures.

La première étape du traitement repose sur :

1. Une supplémentation urgente en thiamine, associée à du magnésium.

2. L’arrêt total de l’alcool, accompagné d’un soutien addictologique.

3. Un suivi nutritionnel, pour corriger les carences.

4. Une remédiation cognitive, afin d’aider le patient à s’adapter à ses déficits.

5. Un accompagnement social et familial, souvent indispensable.

Sans traitement, 56 à 84 % des encéphalopathies de Wernicke évoluent vers un Korsakoff. Mais lorsqu’elle est détectée tôt, la récupération peut être partielle ou complète.

Autres causes possibles

Bien que l’alcool soit le facteur principal, d’autres situations peuvent induire un déficit sévère en thiamine :

  • troubles du comportement alimentaire,
  • chirurgie bariatrique,
  • vomissements chroniques,
  • sida, dialyse, cancer généralisé, ou infection chronique.

Ces formes non alcooliques sont rares, mais souvent mal identifiées.

La prévention repose sur des gestes simples :

  • Limiter ou arrêter la consommation d’alcool.
  • Adopter une alimentation équilibrée et riche en thiamine (riz complet, légumineuses, noix, épinards, lait).
  • Surveiller les apports en cas de perte d’appétit, de dénutrition ou de régime strict.

Et surtout : administrer systématiquement de la vitamine B1 en cas de suspicion de sevrage alcoolique hospitalier.

Selon les études, 25 % des patients peuvent guérir, 50 % s’améliorent partiellement, et 25 % gardent des séquelles lourdes. Une prise en charge rapide change tout.

Le syndrome de Korsakoff n’est ni une fatalité ni une rareté. C’est une urgence nutritionnelle et neurologique qui peut être prévenue et traitée à temps. Informer, dépister, supplémenter — voilà les trois leviers qui sauveraient des milliers de vies chaque année.

Mots clés : syndrome ; santé ; Korsakoff ; nutrition ; neurologique ; dépister ;  

à lire aussi: