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Quand le simple regard d’un malade suffit à activer nos défenses immunitaires

Edité par : Dr Salim BENLEFKI | docteur en neurosciences
17 août 2025

Un sixième sens biologique contre les infections

Sans le savoir, notre cerveau détecte les signes d’une maladie chez autrui bien avant que nous en ayons conscience. Une toux discrète, un teint pâle, un visage marqué par la fièvre… Ces signaux visuels suffisent à enclencher une alarme interne. Le corps se met en état d’alerte, prêt à se défendre. Ce phénomène, récemment mis en lumière, démontre que notre système immunitaire peut être activé par la seule perception du danger, sans contact physique ni exposition réelle au virus.

Dans une étude menée au CHU de Lausanne et publiée dans Nature Neuroscience, 248 participants sains ont été immergés dans une simulation en réalité virtuelle. À l’aide de casques Oculus Rift, ils ont interagi avec des avatars présentant divers états : visages neutres, expressions apeurées ou symptômes visibles d’infection (toux, éruptions cutanées, air fiévreux).

“Nous voulions savoir si le simple fait de voir un visage malade pouvait suffire à activer les défenses du corps, sans aucune exposition réelle à un pathogène,” explique le Dr Émilie Berthoz, neuroscientifique à l’origine de l’étude.

Grâce à l’IRM fonctionnelle, les chercheurs ont observé une activation rapide du réseau de saillance, une zone cérébrale essentielle pour repérer les menaces biologiques. Ce système agit comme un radar : il capte les indices de danger dans l’environnement et envoie un signal d’alerte au corps.

“C’est un peu comme un logiciel de reconnaissance faciale intégré à notre cerveau, capable d’identifier les signes de maladie avant même que notre conscience ne s’en rende compte,” commente le Pr Antoine Keller, spécialiste en neurosciences cognitives.

Lorsque le cerveau perçoit un danger infectieux, il réduit immédiatement ce que les chercheurs appellent « l’espace personnel » — cette zone invisible autour de nous où l’on tolère la présence des autres.

Résultat : nous nous sentons instinctivement mal à l’aise si quelqu’un de potentiellement contagieux s’approche.

C’est une réponse archaïque, mais extraordinairement bien calibrée. L’organisme limite les risques de transmission en augmentant la distance sociale avant même que nous ayons décidé de reculer.

Les résultats ne s’arrêtent pas à l’imagerie cérébrale. Les prises de sang réalisées après l’expérience ont révélé une activation des cellules lymphoïdes innées, véritables sentinelles immunitaires. Celles-ci libèrent des molécules inflammatoires dès qu’une menace est perçue.

Ce qui est fascinant, c’est que le corps réagit comme s’il était réellement infecté, alors qu’il ne l’est pas.

En comparant les échantillons sanguins des volontaires avec ceux de patients récemment vaccinés contre la grippe, les chercheurs ont constaté des niveaux d’activation immunitaire similaires. Le cerveau aurait donc le pouvoir de provoquer une réponse immunitaire comparable à celle d’un vaccin, uniquement par la perception visuelle d’une maladie.

“Nous touchons ici à l’un des mécanismes les plus surprenants de l’adaptation humaine : le cerveau influence directement l’immunité via la perception,” résume le Pr Keller.

Cette étude révèle un aspect méconnu mais fondamental de notre biologie : l’immunité anticipée. Loin d’être passive, notre immunité réagit à ce que nous voyons, à ce que nous croyons menaçant. Cette alliance entre perception, cognition et réaction immunitaire pourrait ouvrir la voie à des stratégies inédites en prévention sanitaire, notamment en période d’épidémie.

À terme, ces résultats pourraient permettre de développer des approches psychoneuro-immunologiques : des techniques cognitives, visuelles ou comportementales destinées à stimuler les défenses naturelles du corps avant même l’apparition de symptômes.

“Cela montre que le système immunitaire est bien plus intelligent et connecté au cerveau que ce que l’on imaginait. Il perçoit, anticipe et s’adapte,” conclut le Dr Berthoz.

Mots clés : cerveau ; maladie ; immunitaire ; neurosciences ; biologie ; santé ;

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