Une morsure à la joue, une plaie sur la langue, une coupure au palais… La douleur est brève, et la blessure disparaît presque sans laisser de trace. Contrairement à la peau, qui peut mettre plusieurs jours, voire des semaines à cicatriser et laisse souvent une cicatrice, les tissus de la bouche se régénèrent à une vitesse remarquable. Ce phénomène intrigue les scientifiques depuis longtemps. Aujourd’hui, une étude américaine lève une partie du voile.
Une étude conjointe de haut niveau
Des chercheurs du Cedars-Sinai Medical Center, de Stanford Medicine et de l’Université de Californie à San Francisco (UCSF) ont mené une étude préclinique publiée dans Science Translational Medicine. Ils ont comparé les mécanismes de guérison entre la muqueuse buccale (l’intérieur de la bouche) et la peau du visage chez des souris de laboratoire. Objectif : comprendre pourquoi la bouche guérit plus vite — et sans cicatrices apparentes.
Une découverte-clé : la voie GAS6–AXL
L’étude a mis en lumière une voie de signalisation cellulaire spécifique active dans la muqueuse buccale, reposant sur deux acteurs moléculaires majeurs :
- GAS6, une protéine impliquée dans les réponses anti-inflammatoires ;
- AXL, une enzyme réceptrice qui interagit avec GAS6.
Ce duo moléculaire a une fonction très particulière : il inhibe une autre voie appelée FAK (Focal Adhesion Kinase), connue pour ralentir la réparation cellulaire lorsqu’elle est activée de façon excessive. En bloquant FAK, la voie GAS6-AXL favorise une cicatrisation plus rapide, plus harmonieuse, et sans fibrose.
Une muqueuse plus intelligente que la peau ?
Lorsque les chercheurs ont inhibé AXL chez les souris, la capacité de guérison de la bouche s’est considérablement réduite. À l’inverse, en activant cette voie GAS6–AXL dans les plaies cutanées, ils ont observé une accélération spectaculaire de la cicatrisation, avec une régénération tissulaire proche de celle observée dans la cavité buccale.
Autrement dit, la bouche possède une signature biologique unique qui lui permet de réparer les lésions de manière bien plus efficace que la peau. Une explication réside aussi dans son environnement humide, riche en enzymes salivaires et en cellules immunitaires, qui soutiennent activement le processus de guérison.
Une piste thérapeutique prometteuse
Cette découverte ouvre des perspectives majeures pour la médecine régénérative. Comme l’explique le Dr Ophir Klein, co-auteur de l’étude : « Nous savons maintenant que la voie GAS6-AXL est un levier biologique essentiel à la réparation rapide et sans cicatrice dans la bouche. Sa modulation pourrait nous permettre de reproduire ce phénomène sur la peau. »
À terme, l’objectif est de développer des traitements innovants — crèmes, gels ou injections — capables de stimuler cette voie dans les plaies cutanées pour :
- Accélérer la cicatrisation chez les patients blessés ou brûlés ;
- Réduire la formation de cicatrices après une chirurgie ;
- Améliorer la prise en charge des plaies chroniques (diabète, ulcères…).
Vers une médecine inspirée du corps humain
En observant le fonctionnement naturel de notre organisme, les chercheurs veulent désormais créer des thérapies biomimétiques : des traitements qui imitent les processus biologiques les plus efficaces. La bouche, avec sa capacité à se réparer discrètement et rapidement, devient ainsi un modèle de guérison idéal.
Cette étude rappelle que les réponses aux défis médicaux se trouvent parfois au cœur même de notre corps, là où la science n’avait pas encore totalement regardé. Grâce à cette avancée, la cicatrisation de la peau pourrait bientôt entrer dans une nouvelle ère, plus rapide, plus propre et plus humaine.
Mots clés : bouche ; blessure ; soins ; peau ; médecine ;
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