Quand le lieu de travail devient un facteur de risque pour la santé

Une récente étude publiée dans The Lancet classe la France parmi les pays les plus touchés par le cancer, avec plus de 433 000 nouveaux cas chaque année — un chiffre qui a doublé en vingt ans. Si le débat public pointe souvent du doigt le tabac, l’alcool ou le manque d’activité physique, un autre facteur majeur reste encore largement sous-estimé : le travail.
Des victimes invisibles de leur environnement professionnel
Derrière les statistiques, il y a des vies bouleversées. Cette fleuriste, par exemple, dont l’enfant est décédé à 11 ans d’une leucémie, après avoir été exposée in utero à des pesticides cancérogènes présents sur les fleurs que manipulait sa mère chaque jour.
Ces ouvrières du laboratoire Tetra Medical, contaminées par l’oxyde d’éthylène, un gaz hautement cancérogène utilisé pour stériliser le matériel médical.
Ou encore ces employés d’usines chimiques exposés aux PFAS, les fameuses « polluants éternels » aujourd’hui soupçonnés d’altérer durablement la santé humaine.
Toutes ces personnes ont en commun d’avoir été empoisonnées par leur travail, sans l’avoir choisi. Les conséquences se prolongent sur plusieurs générations : enfants malades, grossesses à risque, maladies chroniques.
Un angle mort des politiques de santé publique
Dans les rapports médicaux comme dans le débat politique, la question du cancer d’origine professionnelle reste marginalisée.
L’étude du Lancet ne mentionne pas une seule fois le risque lié aux expositions professionnelles, préférant insister sur les comportements individuels.
Ce discours, dénoncent les associations de victimes, est culpabilisant : il fait peser la responsabilité de la maladie sur les malades eux-mêmes, alors que nombre d’entre eux ont simplement travaillé pour vivre.
Des expositions multiples et silencieuses
De nombreux secteurs sont concernés :
- Industrie chimique et pharmaceutique (solvants, PFAS, benzène)
- Nettoyage (produits détergents, ammoniac, formaldéhyde)
- Coiffure et esthétique (colorants, formols, peroxyde)
- Agriculture et horticulture (pesticides, engrais, herbicides)
- Santé (rayonnements, produits stérilisants, gaz anesthésiques)
Ces expositions, parfois faibles mais répétées sur des années, finissent par provoquer des dommages cellulaires, des mutations génétiques et des désordres hormonaux favorisant l’apparition de cancers du poumon, du sein, du sang ou du foie.
Le travail de nuit : un cancérogène reconnu
Depuis 2007, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) reconnaît le travail de nuit comme « probablement cancérogène » pour l’être humain.
Il perturbe le rythme circadien et la sécrétion de mélatonine, hormone protectrice contre certains cancers, notamment celui du sein.
Malgré cela, le travail posté et nocturne a augmenté de 150 % chez les femmes entre 1982 et 2015, dans des secteurs où il n’est souvent ni vital ni justifié : commerce, nettoyage, logistique ou services.
Les professionnels de santé en première ligne
Médecins du travail, généralistes et oncologues jouent un rôle crucial. Pourtant, peu sont formés à identifier les liens entre exposition professionnelle et cancer. Chaque médecin devrait systématiquement interroger ses patients sur leur environnement professionnel.
Un simple questionnement pourrait permettre de détecter des facteurs de risque invisibles et d’orienter les patients vers des structures spécialisées.
Prévenir plutôt que réparer
La prévention passe avant tout par une meilleure réglementation des substances chimiques. Certaines, comme l’amiante ou le benzène, ont été restreintes, mais des milliers d’autres restent autorisées.
Les associations demandent :
- Une surveillance renforcée des milieux professionnels exposés
- La substitution des produits toxiques par des alternatives plus sûres
- La formation obligatoire à la sécurité chimique dès l’embauche
- La création d’un registre national des cancers professionnels
Recommandations médicales et hygiéniques
Pour les travailleurs exposés à des produits dangereux :
- Porter des équipements de protection adaptés (gants, masques, lunettes)
- Respecter les protocoles de sécurité et signaler tout incident d’exposition
- Effectuer des examens médicaux réguliers (bilan sanguin, imagerie, dépistage)
- Signaler tout symptôme persistant à un médecin du travail ou à un oncologue
- Favoriser une alimentation antioxydante et une bonne hygiène de vie pour réduire les effets oxydatifs
Rompre le silence
Les signataires de la tribune, regroupés au sein d’un collectif d’associations de victimes et de chercheurs, rappellent que le cancer professionnel n’est pas une fatalité, mais le résultat de politiques de production négligentes. « Nous alertons depuis quarante ans sur ces risques évitables », insistent-ils.
Ignorer cette réalité, c’est laisser perdurer des scandales sanitaires dont les victimes restent invisibles.
Le travail ne devrait jamais rendre malade.
Reconnaître et prévenir les cancers professionnels, c’est protéger la santé de millions de travailleurs et restaurer la justice environnementale et sociale.
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