
Des experts en phytopharmacovigilance tirent un signal d’alarme : certains pesticides représentent un danger majeur pour la santé humaine, en particulier pour le développement cérébral des enfants exposés in utero. Cette alerte repose sur une expertise indépendante fondée sur des données scientifiques récentes, croisées et analysées de manière rigoureuse.
Une alerte fondée sur des preuves scientifiques de plus en plus solides
Les conclusions proviennent d’un travail mené à partir du rapport de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), initialement publié en 2013, puis actualisé en 2021. Ce rapport fait la synthèse de plus de 5 000 publications scientifiques internationales sur les effets des pesticides agricoles, biocides (produits utilisés pour désinfecter ou désinsectiser les lieux) et vétérinaires sur la santé humaine.
Les experts ont croisé trois types de données :
- Les effets sanitaires suspectés observés dans la population,
- Les usages autorisés des substances chimiques,
- La toxicité intrinsèque démontrée en laboratoire ou par des études épidémiologiques.
Cette approche permet de détecter des signaux sanitaires jugés préoccupants, et d’identifier les substances prioritaires à surveiller.
Les pyréthrinoïdes : des insecticides omniprésents et suspectés d’effets graves
Parmi les familles de pesticides les plus pointées du doigt figurent les pyréthrinoïdes. Ces composés sont très largement utilisés pour tuer les insectes nuisibles, que ce soit dans les cultures, les logements, les écoles, les hôpitaux ou encore sur les animaux domestiques (comme les pipettes anti-puces). Leur usage massif, couplé à leur présence dans l’air intérieur, les vêtements, la poussière ou les aliments, favorise une exposition chronique de la population.
Les experts ont identifié quatre signaux d’alerte majeurs concernant ces substances. Le premier, particulièrement préoccupant, concerne l’exposition pendant la grossesse et la petite enfance. Des études montrent un lien entre cette exposition et des troubles du développement neuropsychologique chez les enfants. Ces troubles incluent :
- des difficultés de concentration,
- des troubles de l’attention (TDAH),
- une mauvaise régulation des émotions,
- des retards dans l’acquisition du langage ou des habiletés motrices.
Ces effets ont été confirmés par des études menées en France, aux États-Unis et dans plusieurs pays européens, notamment par des suivis de cohortes mère-enfant comme la cohorte ELFE ou PELAGIE. Ces recherches montrent que même à faibles doses, une exposition répétée peut perturber la maturation du cerveau en formation.
Des atteintes durables au cerveau, dès la vie prénatale

Un deuxième signal concerne une autre classe de pesticides : les organophosphorés. Leur exposition pendant la grossesse est associée à des altérations précoces et durables du système nerveux de l’enfant.
Ces effets incluent :
- une baisse du QI,
- des troubles de la mémoire et du raisonnement,
- des problèmes sensoriels (vision, audition),
- des troubles moteurs (coordination, posture).
Ces substances, comme le chlorpyrifos ou le malathion, agissent en bloquant une enzyme essentielle au bon fonctionnement du système nerveux : l’acétylcholinestérase. Cette enzyme régule la transmission de l’influx nerveux. Chez l’embryon, son inhibition peut provoquer des défauts majeurs dans la mise en place des circuits neuronaux.
Des risques aussi pour les adultes : cancers et déclin cognitif
Deux autres signaux d’alerte concernent les adultes, en particulier ceux exposés professionnellement : agriculteurs, ouvriers agricoles, jardiniers, techniciens de désinsectisation, etc.
- Le premier concerne des troubles cognitifs progressifs : perte de mémoire, difficulté à se concentrer, confusion mentale. Ces symptômes peuvent ressembler à ceux des maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer.
- Le second est un risque accru de leucémie, notamment en cas d’exposition au malathion, un pesticide encore utilisé malgré sa classification comme cancérogène probable par le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer). Certaines études indiquent que les travailleurs exposés régulièrement au malathion présentent un risque de leucémie multiplié par deux à trois.
D’autres effets préoccupants dans la population générale
L’expertise souligne également des effets potentiels sur la fertilité. Des atteintes spermatiques ont été observées, y compris chez des hommes non exposés professionnellement. Il s’agit d’une baisse du nombre de spermatozoïdes, de leur mobilité, et d’une augmentation des anomalies morphologiques. Ces effets sont attribués à des propriétés perturbatrices endocriniennes de plusieurs pesticides.
La deltaméthrine, un pyréthrinoïde largement utilisé, est particulièrement suspectée. Son exposition fréquente, même à faible dose, pourrait jouer un rôle dans l’augmentation de certaines leucémies, selon une étude épidémiologique publiée en 2022.
Une exposition quotidienne, difficile à éviter
Les pyréthrinoïdes sont présents dans de nombreux environnements :
- les produits ménagers,
- les traitements anti-poux,
- les sprays antimoustiques,
- les traitements de l’habitat contre les cafards ou les punaises,
- les aliments issus de l’agriculture conventionnelle.
Selon les spécialistes, on en retrouve des traces dans plus de 70 % des logements, et dans près de 40 % des urines analysées chez les enfants.
L’appel des scientifiques : agir pour protéger les plus vulnérables
Malgré la multiplication des alertes scientifiques, l’usage de ces substances reste massif et mal encadré. Les experts demandent une révision urgente des autorisations de mise sur le marché, ainsi qu’un renforcement de la surveillance des populations exposées.
Ils insistent sur la nécessité de protéger les populations les plus sensibles :
- les femmes enceintes,
- les nourrissons,
- les enfants en bas âge,
- les travailleurs agricoles.
Ils appellent également à promouvoir l’agriculture biologique, à améliorer l’information du public sur les risques, et à encourager des alternatives non chimiques pour la lutte contre les nuisibles.
Une question de santé publique majeure
L’accumulation des preuves scientifiques ne laisse plus de place au doute : certains pesticides nuisent au cerveau en développement et augmentent le risque de maladies graves chez l’adulte. Cette menace, souvent invisible, appelle des décisions politiques fortes et rapides. Car les conséquences d’une exposition précoce peuvent marquer toute une vie.
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