Imaginez un monde où un simple mal de gorge pourrait redevenir fatal. Ce n’est pas de la science-fiction : c’est la réalité croissante de la résistance aux antibiotiques. La résistance aux antibiotiques, n’est pas un sujet abstrait réservé aux laboratoires : elle touche chacun d’entre nous, ici et maintenant. Alors que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) tire la sonnette d’alarme, il est temps de comprendre pourquoi cette “menace silencieuse” est devenue un enjeu de santé publique majeur… et comment nous avons encore les cartes pour contrer ce problème mondial — et bien local, chez nous, en Algérie.
Une crise mondiale en pleine accélération
Un rapport récent de l’OMS révèle une réalité troublante : en 2023, une infection bactérienne sur six (laboratoire-confirmée) était résistante aux traitements antibiotiques classiques.
Depuis 2018, la résistance a augmenté dans plus de 40 % des combinaisons bactérie-antibiotique surveillées, avec une hausse moyenne de 5 à 15 % par an.
Certains pathogènes sont particulièrement inquiétants : des bactéries à gram négatif comme Escherichia coli ou Klebsiella pneumoniae, responsables d’infections graves du sang, de l’appareil urinaire, ou des intestins, montrent des taux de résistance très élevés.
À titre d’exemple, plus de 40 % des E. coli et 55 % des K. pneumoniae sont maintenant résistantes aux céphalosporines de 3ᵉ génération — des antibiotiques parmi les plus utilisés.
Et l’Algérie dans tout ça ?
En Algérie, selon les rapports de surveillance nationaux (AARN, hôpitaux et publications scientifiques) la résistance aux antibiotiques est bien réelle et touche plusieurs domaines. Dans les hôpitaux, environ 30 % des entérobactéries produisent des BLSE, plus de 36 % des Staphylococcus aureus sont résistants à la méticilline, et plus de 50 % des Acinetobacter spp. résistent à l’imipénème, avec 93 % de souches résistantes à l’ampicilline en réanimation à Annaba. Dans les élevages, E. coli avicoles est multirésistant à 100 %, dont 81 % à l’ampicilline, pouvant se transmettre à l’humain selon le principe One Health. Chez les patients, H. pylori montre 23 % de résistance à la clarithromycine et 45 % au métronidazole. Par ailleurs, dans certaines régions, plus de la moitié des ordonnances contiennent des antibiotiques, souvent sans justification médicale.
Pourquoi cette crise ?
Les causes de l’AMR sont multiples — et en grande partie liées à l’action humaine :
- Surconsommation des antibiotiques : ils sont parfois prescrits inutilement (par exemple pour des infections virales comme le rhume) ou mal utilisés (arrêt du traitement trop tôt, automédication).
- Mauvais accès aux diagnostics : dans de nombreux endroits, on ne peut pas identifier précisément la bactérie responsable, ce qui pousse à prescrire “large” ou “fort” par précaution.
- Usage agricole : les antibiotiques sont utilisés dans l’élevage, favorisant l’émergence de bactéries résistantes qui peuvent passer chez l’humain (“One Health”).
- Innovation à la traîne : il y a un manque cruel de nouveaux antibiotiques efficaces et rentables à développer, ce qui laisse les médecins dépendants des molécules existantes.
Mais un espoir renaît : la riposte s’organise
Face à cette menace, nombreux sont les acteurs qui bougent :
- La France, par exemple, renforce son engagement international : lors de l’Assemblée mondiale de la Santé 2025, elle a souligné l’urgence de l’AMR et réaffirmé son approche “Une seule santé” (One Health).
- À l’échelle européenne, des voix s’élèvent pour créer un Institut européen de développement des antimicrobiens, destiné à stimuler la recherche de nouveaux antibiotiques et à coordonner les efforts des chercheurs et start-up.
- Sur le plan mondial, l’OMS multiplie les alertes et les appels à la responsabilité.
- Côté technologie : des avancées prometteuses émergent. Par exemple, des scientifiques utilisent l’intelligence artificielle et l’analyse génomique pour prédire la résistance des bactéries, voire identifier de nouvelles molécules potentiellement antibiotiques. (Voir travaux récents dans le domaine des modèles de machine learning appliqués à l’AMR.)
Ce que vous risquez si rien n’est fait
- Même une simple infection urinaire, si elle est causée par une bactérie résistante, peut devenir plus difficile à traiter.
- L’inefficacité des antibiotiques signifie des traitements plus longs, plus coûteux, et parfois l’impossibilité totale de guérir avec les outils actuels.
- Si nous n’agissons pas collectivement, les infections courantes pourraient redevenir mortelles, comme au “temps d’avant les antibiotiques”.
Ce que chacun peut faire maintenant
- Ne jamais prendre des antibiotiques sans prescription : évitez l’automédication, et suivez toujours les doses et la durée indiquées.
- Ne pas interrompre un traitement : même si vous vous sentez mieux, terminez la cure.
- Ne pas demander d’antibiotiques pour un rhume ou une grippe : ce sont souvent des infections virales, contre lesquelles les antibiotiques sont inefficaces.
- Se protéger avec les gestes barrières (lavage des mains, hygiène) pour éviter les infections.
- Soutenir la vaccination : moins d’infections signifie moins de besoin d’antibiotiques.
- Sensibiliser autour de vous : partager l’info, discuter avec vos proches, faire pression (localement, politiquement) pour un usage responsable des antibiotiques.
L’AMR, ce n’est pas une fatalité
Le scénario catastrophe — des “super-bactéries” incontrôlables — n’est pas gravé dans le marbre. Oui, la résistance aux antibiotiques progresse, mais nous avons encore des leviers : surveillance, innovation, politique, éducation. Le futur de la médecine dépend de nos actions aujourd’hui.
Mots clés : Résistance aux antibiotiques, BLSE, multirésistance, One Health, Automédication