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Pour une renaissance humaniste de la médecine en Algérie : enjeux et défis de la formation des futurs médecins

Edité par : Dr Mohamed Tahar Aissani | Docteur en médecine
6 mars 2025

Dans une époque où la médecine semble avoir troqué le visage humain pour celui de la technologie, où les regards s’abaissent plus souvent sur les écrans que sur les malades, la question d’une réhumanisation des soins se pose avec une urgence nouvelle. En Algérie, cette réflexion prend un relief particulier dans un contexte où le parcours de formation médicale est marqué par une transition linguistique difficile et un environnement peu propice à la culture générale.

Les facultés de médecine en Algérie continuent de former des professionnels très compétents sur le plan technique. Pourtant, nombreux sont les étudiants et praticiens qui confessent un malaise grandissant : la relation au patient perd en densité, l’empathie se dilue, et le temps consacré à l’écoute se raréfie. Ce phénomène, loin d’être anecdotique, est le fruit de deux grandes mutations : la déshumanisation de la médecine et le déclin de la culture générale.

La figure du médecin à la culture vaste, ancrée dans la philosophie, la littérature ou encore l’art, tend à disparaître. Les étudiants en médecine, souvent passés d’un enseignement secondaire en langue arabe à des études supérieures en langue française, affrontent un double défi : celui de la maîtrise linguistique et celui de l’accès aux références culturelles à la base de l’humanisme médical.

Le choc est brutal : alors qu’ils devraient cultiver leur regard sur l’autre, s’ouvrir à la complexité de la condition humaine, ils se retrouvent submergés par un océan de données biomédicales. Le temps de la lecture, de la réflexion, de la discussion disparaît sous la pression des examens et des stages. Le savoir scientifique, décontextualisé, se fait hégémonique.

Pourtant, l’urgence d’une approche plus humaine est ressentie. Un sondage réalisé en France montre que 93 % des étudiants en médecine estiment que la culture générale améliore la relation médecin-malade. En Algérie, il est temps de poser la question de manière frontale : pourquoi ne pas créer, au sein de chaque faculté, un véritable département de philosophie et de pédagogie de la santé, à même d’accompagner les étudiants dans l’ouverture de leur esprit, le développement de leur intelligence émotionnelle et le goût de la réflexion ?

La lecture d’auteurs comme Tchekhov, Avicenne, Rabelais ou Amadou Hampâté Bâ n’est pas un luxe : elle est une nécessité. Elle forge le regard, invite à l’humilité, stimule la mémoire et renforce la qualité de présence à l’autre. L’expérience du théâtre, la lecture à voix haute, l’analyse d’œuvres picturales ou l’étude des grands textes philosophiques peuvent être autant de leviers pour réintroduire du sens dans la formation médicale.

La réhabilitation de l’humanisme médical pose plusieurs défis dans le contexte algérien :

  1. Surmonter la barrière linguistique : repenser la transition linguistique du secondaire au supérieur pour qu’elle ne soit plus un frein mais un enrichissement culturel.
  2. Revaloriser la culture générale : réhabiliter la lecture, la philosophie, l’histoire des idées dans le parcours médical, sans les opposer aux sciences fondamentales.
  3. Former des médecins-médiateurs : des praticiens capables de naviguer entre le réel biologique, l’imaginaire du patient et le symbolique du soin.
  4. Repenser le compagnonnage : favoriser l’exemple, le partage d’expérience, l’observation du geste, mais aussi du mot juste.

La médecine algérienne de demain devra être technique, certes, mais surtout humaine. Il est impératif de former des médecins à l’horizon large, sensibles, à l’écoute, porteurs d’un savoir médical ancré dans une culture humaniste vivante et plurielle. Le médecin humaniste ne soigne pas seulement des corps : il accompagne des vies. Et c’est sans doute cela, la plus haute mission du soin.

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