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Hikma contre Goliath : génériques, justice thérapeutique et marché mondial de l’obésité

Edité par : Dr Mohamed Tahar Aissai | Docteur en médecine
26 mars 2025

Dans les plis invisibles de la mondialisation pharmaceutique, une révolte douce est en marche. Elle ne claque pas dans les rues. Elle ne lève pas de pancartes. Elle se glisse dans les laboratoires, dans les formulaires d’homologation, dans les interstices du droit des brevets. Et pourtant, elle pourrait changer des millions de vies. Elle a un nom : Hikma Pharmaceuticals.

Lorsque j’ai entendu pour la première fois que Hikma, acteur de l’industrie pharmaceutique basé à Londres mais enraciné au Moyen-Orient, s’apprêtait à lancer des génériques de l’Ozempic et du Wegovy, deux des traitements les plus coûteux et convoités contre l’obésité, j’ai ressenti ce curieux frisson qu’on éprouve lorsqu’un vieux rêve d’équité semble enfin frôler le réel. Loin des projecteurs, c’est une lutte pour l’accessibilité aux soins et la justice thérapeutique qui s’annonce.

Dans un monde où l’obésité devient une pandémie silencieuse — frôlant désormais le milliard de personnes concernées selon l’Organisation mondiale de la santé — les traitements efficaces existent, mais leur prix les rend inaccessibles à la majorité. À 1 300 dollars par mois, le Wegovy incarne autant la puissance de la médecine moderne que ses dérives économiques. C’est un traitement miracle devenu produit de luxe.

Le sémaglutide, principe actif de ces traitements, appartient au géant danois Novo Nordisk, dont les brevets protègent l’exclusivité jusqu’en 2031 aux États-Unis et jusqu’en 2032 en Europe. Mais dans d’autres régions du monde — Brésil, Inde, Canada, Chine — les barrières légales tomberont dès 2026, ouvrant la voie aux génériques. Et c’est par ces brèches que s’engouffre Hikma, avec une stratégie méthodique : démocratiser l’accès à ces traitements révolutionnaires en les rendant 80 à 85 % moins chers.

Dans une déclaration au Financial Times, le PDG Riad Mishlawi a osé une comparaison audacieuse : « C’est comparable à la pénicilline ». Une analogie forte, qui suggère que les effets potentiels de l’élargissement de l’accès aux traitements contre l’obésité pourraient dépasser la sphère strictement métabolique. Car en traitant l’obésité, on traite indirectement le diabète de type 2les maladies cardiovasculairesles troubles musculo-squelettiques et bien d’autres comorbidités.

Il ne s’agit pas ici de célébrer naïvement l’industrie du générique. Encore faudra-t-il garantir la qualité pharmaceutique, organiser la distribution mondiale, convaincre les autorités sanitaires et rassurer les patients. Mais ce que propose Hikma, ce n’est pas uniquement une alternative chimique. C’est un acte politique, un plaidoyer pour un accès équitable aux innovations thérapeutiques, notamment dans les pays à revenu intermédiaire et les systèmes de santé sous pression.

Dans une Europe aux prises avec l’austérité budgétaire, dans une Afrique où les dépenses de santé sont souvent supportées par les familles elles-mêmes, dans des Amériques fracturées par les inégalités, un traitement contre l’obésité disponible à prix réduit n’est pas un luxe : c’est une urgence de santé publique.

Face à la stratégie de Hikma, Novo Nordisk garde un avantage juridique dans ses principaux marchés. Il lui reste la possibilité d’innover, de reformuler, de prolonger ses brevets par des stratégies de “patent evergreening”. Mais le modèle d’exclusivité est fragile. Et l’émergence de concurrents comme Hypera Pharma au Brésil montre que l’offensive générique mondiale est déjà amorcée.

Contrairement aux idées reçues, les génériques ne mettent pas fin à l’innovation. Ils la provoquent, en forçant les leaders à avancer, à proposer mieux, à sortir du confort du monopole. Ils jouent un rôle fondamental dans l’écosystème pharmaceutique mondial.

Au fond, cette bataille autour du sémaglutide est moins une querelle entre laboratoires qu’un symbole de notre époque. Une époque où les innovations médicales sont réelles, mais où leur accès reste inégalitaire. Où la science progresse, mais où les droits à la santé reculent si l’on ne s’arme pas politiquement et éthiquement pour garantir leur diffusion universelle.

Ce que propose Hikma, ce n’est pas seulement un médicament moins cher. C’est une vision du soin. Un rappel que le médicament n’est pas une marchandise ordinaire. Qu’il est porteur d’un droit fondamental : celui de vivre, et de vivre en bonne santé, quelles que soient ses origines ou ses revenus.

Si demain, un patient au Caire, une patiente à Jakarta ou un adolescent à Tlemcen peut accéder à un traitement efficace contre l’obésité sans hypothéquer l’avenir de sa famille, alors Hikma n’aura pas seulement fabriqué un générique. Elle aura semé les graines d’une médecine plus justeplus inclusive, et profondément humaine.

« En traitant le poids, on traite aussi beaucoup d’autres maladies. »
Riad Mishlawi, PDG de Hikma Pharmaceuticals

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