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Sang artificiel, entre promesse scientifique et prudence clinique

Edité par : Chabane BOUARISSA | Journaliste
2 juillet 2025

La médecine moderne est capable d’exploits impressionnants : greffer des cœurs, modifier des gènes, stimuler le cerveau, ou entraîner l’immunité à combattre le cancer. Pourtant, fabriquer du sang humain reste un défi non résolu. En 2025, chaque transfusion dépend encore exclusivement des donneurs volontaires. Un paradoxe, alors que des millions de patients, chaque année, ne peuvent être soignés sans transfusion, que ce soit en chirurgie, en cancérologie, après un accident ou lors d’un accouchement compliqué.

Une prouesse médicale encore hors de portée

Face à ce besoin vital et à la fragilité des stocks, la mise au point d’un sang artificiel universel, stable, sûr et disponible à la demande s’impose comme un Graal biomédical.

Actuellement, une dizaine de laboratoires à travers le monde travaillent activement sur des substituts sanguins. Leur objectif : reproduire les fonctions essentielles du sang humain, notamment le transport de l’oxygène, la coagulation, et une compatibilité totale avec tous les groupes sanguins. Un enjeu considérable pour la médecine d’urgence et la santé publique.

Mais la tâche est complexe. Le sang est un tissu vivant, composé de globules rouges, de globules blancs, de plaquettes et de plasma. Reproduire cette dynamique cellulaire en laboratoire, avec efficacité et sécurité, demeure un immense défi technologique.

En mars 2025, des chercheurs de l’Université médicale de Nara, au Japon, dirigés par le Pr Hiromi Sakai, ont annoncé une avancée majeure : un sang artificiel développé à partir d’hémoglobine issue de poches de sang périmées, encapsulée dans des vésicules lipidiques imitant les globules rouges. Ces cellules, dépourvues d’antigènes, sont compatibles avec tous les groupes sanguins et peuvent être conservées à température ambiante pendant deux ans.

Les essais cliniques ont débuté dès 2022 sur 12 volontaires sains. Chaque participant a reçu jusqu’à 100 ml de ce sang synthétique. Résultat : pas d’effets secondaires majeurs, aucune réaction immunitaire grave, et une bonne tolérance. Depuis mars, une seconde phase est en cours, avec 16 autres sujets recevant des doses allant jusqu’à 400 ml.

Ce produit, s’il tient ses promesses, pourrait être une révolution dans les soins d’urgence, les zones de guerre, les catastrophes naturelles ou les hôpitaux éloignés. Il pourrait aussi résoudre le problème de compatibilité ABO et Rhésus, responsable de nombreuses complications transfusionnelles.

Mais de grands obstacles subsistent :

  • Durée de vie réduite : les substituts actuels ne durent que quelques heures, contre 120 jours pour des globules rouges naturels.
  • Biocompatibilité incertaine à grande échelle.
  • Fabrication complexe et coûteuse, souvent à base de cellules souches ou d’agents issus du vivant, posant des questions éthiques et réglementaires.
  • Acceptabilité par les patients encore à évaluer.

Chaque jour dans le monde, plus de 118 millions d’unités de sang sont collectées, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais cela reste insuffisant pour couvrir la demande croissante. Il faudrait en réalité près de 150 millions de dons quotidiens pour répondre aux besoins mondiaux en transfusion, notamment dans les pays en développement où près de 70 % de la population mondiale vit, mais où moins de 40 % du sang est collecté.

En Algérie, les autorités sanitaires estiment qu’il faut entre 1 200 et 1 500 dons par jour pour satisfaire les besoins nationaux, notamment pour les urgences médicales, les hémorragies post-partum, les opérations chirurgicales et les maladies chroniques comme la drépanocytose ou les hémophilies. Mais les périodes de rupture de stock sont fréquentes, notamment pendant les mois d’été, le ramadan ou les crises sanitaires.

Dans les pays à faibles ressources, plus de 500 000 décès par an sont directement liés au manque de sang disponible, selon Médecins sans frontières (MSF). Les enfants, les femmes enceintes et les accidentés de la route sont les premières victimes.

À l’échelle mondiale, un décès maternel sur quatre est lié à une hémorragie grave, et la majorité d’entre eux pourraient être évités avec une transfusion rapide. De même, pour les enfants atteints de paludisme sévère ou de drépanocytose, l’absence de sang compatible peut être fatale.

Un autre défi majeur est celui de la compatibilité sanguine. Certains groupes comme O négatif (donneur universel) ou AB négatif (receveur universel) sont particulièrement rares : seulement 7 % de la population mondiale est O négatif, et moins de 1 % est AB négatif.

Les groupes rares sont encore plus fréquents dans certaines populations, notamment en Afrique ou dans les diasporas afrodescendantes, ce qui complique encore les campagnes de collecte ciblées. En Algérie, où la diversité génétique est importante, la Banque nationale de sang peine parfois à trouver des donneurs compatibles pour certaines pathologies héréditaires.

Face à ces carences structurelles, le sang artificiel représente une avancée stratégique, notamment pour les urgences, les zones de conflit, les déserts médicaux ou les crises humanitaires. Mais il ne vise pas à remplacer le don volontaire, qui reste indispensable pour les besoins quotidiens.

L’objectif est plutôt de renforcer les capacités de réponse dans les situations critiques, de protéger les groupes les plus vulnérables, et d’offrir une solution de secours là où la chaîne du don est défaillante.

Les populations d’Afrique du Nord, notamment en Algérie, au Maroc et en Tunisie, présentent une grande variabilité génétique due à des siècles de brassages entre Berbères, Arabes, Subsahariens et Européens. Cette richesse génétique se traduit par une fréquence élevée de certains groupes sanguins rares, parfois incompatibles avec les stocks classiques disponibles dans les banques de sang.

Alors que la majorité des Nord-Africains sont Rhésus D positif, environ 7 à 10 % sont Rhésus D négatif. Les complications liées à ce facteur sont particulièrement critiques pour les femmes enceintes, car une incompatibilité Rh entre la mère et le fœtus peut entraîner une maladie hémolytique néonatale grave, nécessitant des transfusions d’urgence avec des globules rouges compatibles.

Certains individus présentent des phénotypes érythrocytaires rares comme Kell négatif, Duffy négatif (Fy(a-b-)), ou encore le groupe Bombay (hh), extrêmement rare mais recensé chez quelques familles nord-africaines. Ces profils ne peuvent recevoir que du sang identique, ce qui rend leur prise en charge médicale très complexe en cas d’urgence ou de chirurgie lourde.

La plupart des pays d’Afrique du Nord ne disposent pas encore de registres nationaux des donneurs rares, ni de réseaux de donneurs ciblés par phénotype. En Algérie, bien que les autorités sanitaires aient lancé des appels à la constitution de bases de données spécifiques, le manque de sensibilisation et de moyens logistiques freine les progrès.

Enjeux : Développer la typisation sanguine étendue, constituer des réserves de sang rare et créer un réseau régional nord-africain de donneurs identifiés pourrait sauver des centaines de vies chaque année.

En Algérie, comme dans d’autres pays du Maghreb, la majorité de la population appartient au groupe sanguin O ou A, avec un facteur Rhésus D positif dans environ 85 % des cas. Cependant, une proportion non négligeable présente des groupes sanguins rares ou atypiques, qui posent un réel défi transfusionnel.

  • Rhésus D négatif : environ 15 % de la population algérienne, une proportion plus élevée que la moyenne mondiale. Ce groupe peut être critique, notamment pour les femmes enceintes ou en cas de traumatismes graves.
  • Kell négatif (K−k+) : rare mais important, car une incompatibilité peut entraîner des réactions immunitaires sévères.
  • Duffy négatif (Fy(a−b−)) : ce phénotype, courant chez les populations d’origine subsaharienne, est moins fréquent en Algérie mais peut apparaître dans certaines régions sahariennes ou chez des populations métissées.
  • Le groupe Bombay (hh) : extrêmement rare en Algérie (moins de 1 cas sur 250 000), mais identifié dans quelques cas cliniques. Ces personnes ne peuvent recevoir que du sang Bombay-compatible, ce qui rend leur traitement très difficile en l’absence de registre national.
  • Vel négatif : également rare, ce groupe peut entraîner des complications lors de transfusions si non dépisté.

Actuellement, la majorité des typages sanguins réalisés en Algérie se limitent aux groupes ABO et RhD. Pourtant, pour mieux anticiper les risques transfusionnels, il est essentiel de développer le phénotypage étendu, qui inclut les systèmes Kell, Duffy, Kidd, MNS, etc.. Cela permettrait d’identifier plus précisément les groupes rares et d’organiser leur prise en charge en cas de besoin urgent.

L’absence de fichier centralisé des donneurs de groupes rares complique les transfusions pour les patients porteurs de profils atypiques. En cas d’urgence, les délais de recherche d’un donneur compatible peuvent devenir critiques. La mise en place d’un registre national des donneurs rares, connecté aux centres de transfusion régionaux et aux hôpitaux, est une nécessité absolue.

  • Former davantage le personnel médical au repérage des groupes rares.
  • Promouvoir la typisation étendue dans les banques de sang.
  • Créer un réseau de donneurs ciblés pour les phénotypes rares.
  • Sensibiliser les citoyens à l’importance du don régulier, notamment ceux porteurs de groupes rares.

L’histoire du sang artificiel est jalonnée d’espoirs… et de déceptions. En 2011, en France, le Pr Luc Douay avait réalisé une première transfusion de globules rouges cultivés en laboratoire, à partir de cellules souches. Au Royaume-Uni en 2022, des cellules artificielles avaient été injectées avec succès. D’autres projets, au Japon ou aux États-Unis, ont vu le jour, mais aucun n’a encore franchi le cap d’un usage médical à grande échelle.

En 2017, le Pr Douay résumait : « Toutes les tentatives ont échoué jusque-là ». Pourtant, l’annonce japonaise redonne espoir.

L’équipe japonaise espère lancer une production industrielle d’ici 2030. Si les prochaines phases d’essai confirment l’efficacité du produit, les transfusions de sang artificiel pourraient devenir réalité dans les services d’urgence d’ici quelques années.

Ce sang, au reflet légèrement violet, pourrait bien représenter l’avenir des transfusions, en complément du don humain. Mais la prudence s’impose. Rien ne remplacera, à court terme, le geste vital du donneur.

Près de 400 ans après la première transfusion sanguine chez l’humain, la perspective d’un sang de synthèse n’a jamais été aussi proche. Mais entre rêve scientifique, prudence médicale et impératif éthique, la route reste longue.

Le sang artificiel n’est pas encore prêt à couler dans nos veines. Mais chaque essai, chaque découverte nous en rapproche. Et dans un monde confronté à la raréfaction des ressources, cette quête n’a jamais été aussi urgente.

Mots clés : sang ; don ; artificiel ; santé ; sciences ; recherche ; humain ;