Entre traditions millénaires, enjeux de santé moderne et défis pour la biodiversité
Depuis des millénaires, les plantes ont nourri, soigné et inspiré l’humanité. Aujourd’hui encore, elles sont au cœur des pratiques médicales traditionnelles dans de nombreuses régions du monde. Pourtant, dans les pays industrialisés, la médecine moderne repose presque exclusivement sur des molécules de synthèse. Une évolution qui interroge : les plantes médicinales ont-elles encore un avenir ? Leur abandon compromet-il la biodiversité ou leur retour en force est-il en marche ? ‘’Ma Santé, Ma Vie’’, vous apporte son éclairage.
Un savoir hérité de la nature et des animaux
L’usage des plantes à des fins thérapeutiques remonte à la nuit des temps. Bien avant l’avènement de la médecine scientifique, l’observation et l’expérience guidaient l’homme vers les végétaux utiles à sa survie. La frontière entre aliment, soin et rituel était alors inexistante.
Fait fascinant : certaines espèces animales, comme les primates, consomment également des plantes pour se soigner ou réguler leur fertilité selon les ressources disponibles. Cette capacité d’automédication animale, étudiée par la zoopharmacognosie, laisse penser que les premiers hominidés ont pu s’en inspirer, développant au fil des siècles une véritable pharmacopée fondée sur l’observation, l’expérimentation… et parfois l’erreur.
La chimie moderne : une révolution, pas une rupture
Le tournant s’est opéré au début du XIXe siècle avec l’isolement des principes actifs des plantes. En 1805, la morphine est extraite du pavot somnifère. Déjà utilisée dans l’Antiquité égyptienne, cette plante soulageait la douleur et apaisait les enfants.
Quelques décennies plus tard, la salicine, présente dans l’écorce de saule, donnera naissance à l’aspirine — aujourd’hui le médicament le plus consommé au monde avec plus de 40 000 tonnes annuelles. Ces avancées ont ouvert la voie à la synthèse chimique, permettant de produire en laboratoire des molécules plus stables, mieux ciblées et parfois plus efficaces.
Les plantes, une source oubliée mais fondatrice
Malgré cette révolution industrielle, les plantes ont longtemps constitué la base de la pharmacopée moderne. Elles ont offert des molécules complexes que la nature seule savait produire. Mais aujourd’hui, à peine 3 % des médicaments vendus dans le monde contiennent un principe actif directement extrait d’un organisme vivant.
Pourquoi ce déclin ? Les molécules naturelles, bien que bioactives, ne sont pas toujours optimales pour l’homme. Il faut les modifier, les purifier, les adapter. Face à ces contraintes, la synthèse chimique et les biotechnologies se sont imposées, plus rentables et plus facilement brevetables.
Un abandon progressif de la recherche naturelle
À partir des années 2000, les grands laboratoires pharmaceutiques ont délaissé les recherches fondées sur le criblage massif de substances naturelles. Plusieurs raisons expliquent cette tendance :
- faible rendement,
- lourde réglementation pour accéder aux ressources génétiques,
- et promesses plus séduisantes offertes par la chimie combinatoire.
Cette technique, qui permet de produire des milliers de molécules artificielles en laboratoire, a rapidement absorbé les budgets de recherche. Elle a fait reculer l’exploration de la biodiversité, pourtant riche de solutions thérapeutiques encore inexplorées.
Médecines traditionnelles : une pression croissante sur les écosystèmes
Si l’industrie pharmaceutique occidentale se détourne des plantes, la médecine traditionnelle reste, elle, fortement dépendante des ressources naturelles. En Chine et en Inde, des millions de personnes utilisent chaque jour des plantes médicinales issues de la nature. Mais moins de 5 % de ces espèces sont cultivées : la majorité est prélevée à l’état sauvage.
Cette pression, combinée à la déforestation, à l’urbanisation et à l’agriculture intensive, menace la survie de nombreuses espèces végétales. L’Organisation mondiale de la santé estime que plus de 70 % de la population mondiale recourt encore aux soins traditionnels, davantage par nécessité économique que par choix culturel.
Préserver les savoirs, cultiver les plantes, protéger la vie
Face à ces enjeux, une alternative durable s’impose : la culture contrôlée des plantes médicinales. Depuis plus de 25 ans, l’OMS, l’UICN et le WWF recommandent cette pratique pour éviter la surexploitation des espèces sauvages. Les plantes cultivées peuvent être transformées en formes pharmaceutiques modernes — gélules, sirops, extraits standardisés — tout en préservant la biodiversité.
Parallèlement, un cadre légal d’accès aux ressources génétiques commence à se structurer. Objectif : instaurer un partage équitable des bénéfices issus de leur exploitation, tout en finançant leur conservation.
Vers un nouveau modèle ?
La médecine de demain pourrait réconcilier les savoirs traditionnels et les exigences de la science moderne. En alliant culture raisonnée, biotechnologies vertes et respect des écosystèmes, les plantes pourraient redevenir des alliées de poids dans la lutte contre les maladies chroniques, les infections émergentes ou même le cancer.
Plus qu’un retour aux sources, il s’agirait d’une évolution raisonnée et durable. Car dans un monde où la biodiversité s’effondre, chaque plante sauvegardée est une promesse de soin pour demain.
Mots clés : zoopharmacognosie ; plantes ; santé ; végétaux ; pharmacopée ; synthèse chimique ; biotechnologies ;