Pr Fatiha Gachi à ‘’Ma santé Ma vie’’ (*)
Dans cet entretien qu’elle a bien voulu nous accorder, Professeure, Fatiha Gachi, en charge du service Oncopédiatrie du Centre Pierre Marie Curie (CPMC), nous fait le point et nous éclaire sur les conditions de traitement des cancers touchant les enfants, en ce 15 février, qui marque la journée internationale des cancers de l’enfant.
Elle déplorera, entre autres, le fait, que les marqueurs de biologie moléculaire ne soient pas disponibles en Algérie, bien qu’indispensables pour prescrire une thérapie ciblée aux enfants atteints de cancer. Elle nous fera part, aussi, de l’évolution inquiétante de ces maladies chroniques, et du lien éventuel qu’elles pourraient avoir avec la pandémie de la Covid-19, et ceci, en évoquant, l’augmentation substantielle de ces cancers en cette période de pandémie, ce qui pourrait expliquer le lien entre les deux pathologies. Les études, en cours, y afférentes, feront certainement la lumière sur ce phénomène.
Ecoutons Mme Pr. Fatiha Gachi.
Ma Santé Ma vie : qu’elle est la situation des enfants atteints de cancer ?
Professeur Fatiha Gachi : Les enfants atteints de cancer sont dans une situation très difficile en raison de l’augmentation du nombre de ces maladies, alors que le nombre de lits est resté le même depuis des années ; ainsi, enfants, parents et médecins se retrouvent sous pression.
Chaque jour nous diagnostiquons des cancers chez les enfants entre leucémies, lymphomes, sarcomes…. mais, malheureusement, nous manquons de moyens pour les prendre en charge.
A votre avis, cette flambée des cancers s’explique-t-elle par le retard dans la prise en charge de ces enfants en raison de la pandémie ?
En effet, la pandémie a causé également des retards de diagnostic et de prise en charge. Au CPMC, par exemple, nous prenons en charge les patients atteints de tumeurs solides qui arrivent vraiment à un stade tardif, souvent métastatiques, du fait que ces enfants ont été diagnostiqués tardivement, dans la mesure où la pandémie a tout chamboulé. Il faut savoir que lorsque le diagnostic est tardif, le pronostic peut s’avérer moins bon.
Dans certains cas, nous sommes même obligés de procéder à des amputations, voire, de ne pas pouvoir guérir ces enfants. Tout cela complique encore plus la situation.
La pandémie de la Covid-19 n’a fait, donc, qu’aggraver les choses.
Les scientifiques se posent, d’ailleurs, la question de savoir s’il n’y aurait pas,éventuellement, une relation entre l’explosion du nombre des cas de ces cancers chezl’enfant depuis cette pandémie, et même, beaucoup de rechutes ? Peut-être que lesétudes en cours dans ce sens le confirmeront. Pour l’heure, on n’en est pas encorecertain, mais il faut dire que la Covid-19 entraine tellement de perturbations dumétabolisme et de tous les organes, que la question se pose.
L’afflux d’enfants venant de l’intérieur du pays est-il toujours constant, et peut-on connaitre le nombre d’enfants, en général, atteints de cancers ?
Oui. En raison du manque de structures spécialisées dans certaines localités du pays, en effet, des enfants nous viennent de Tissemsilt, de Msila, de Tamanrasset, d’Adrar, de Chlef, d’Ain Defla, etc…. Aussi, et pour éviter ces déplacements onéreux et pénibles au vu de la situation déjà fragile des enfants, il a été convenu de mettre en place des unités de proximité pour la prise en charge des soins les moins lourds.
Ces unités seront appelées à prendre en charge les enfants entre deux cures, Ce qui ne nécessite pas de gros moyens mais simplement de la volonté et la formation des médecins.
Pour répondre à votre seconde question, il existe un registre dédié spécialement à cela à l’Institut national de santé publique (INSP), et le dernier recensement y afférent au niveau national, fait part de 1500 nouveaux cas par an, mais actuellement il est recensé environ 2000 nouveaux cas par an.
Quels sont les cancers les plus fréquents chez l’enfant, et quelles en sont les causes ?
Les plus fréquents sont les leucémies, les lymphomes puis les tumeurs cérébrales, les sarcomes, les sarcomes osseux, le neuroblastome, le néphroblastome, le rétinoblastome. Quant aux causes, elles sont différentes de celles de l’adulte. L’enfant qui n’a pas eu le temps d’être exposé assez longtemps à des facteurs, tels que liés à l’environnement, la consommation de tabac, la mauvaise alimentation… ces causes sont plutôt d’ordre héréditaire ou dues à des anomalies génétiques comme dans les cas de rétinoblastome ou neuroblastome.
En outre, il existe, certainement, d’autres gènes que la science n’a pas encore déterminés, donc, et il faut espérer qu’à l’avenir la recherche scientifique sera en mesure d’y parvenir.
Pendant une longue période, médecins et associations de malades atteints de cancer ont dénoncé la rupture de stocks de médicaments. Est-ce que le problème est résolu ?
Nous avons connu une longue période de rupture de stocks de médicaments, faisant que les patients et leurs parents ont beaucoup souffert.
Cette rupture d’approvisionnement a mis en danger la vie des enfants en raison du non- respect du protocole et cela a entrainé de mauvais pronostics. En ce moment, et heureusement, ce problème est résolu : la plupart des traitements sont disponibles.
Depuis quelques années, déjà, des appels ont été lancés pour la construction d’un hôpital dédié à la prise en charge des enfants souffrants de cancer. Où en est ce projet ?
Au niveau du CHU Lamine-Debaghine de Bab El Oued, un service du genre a été finalisé : deux étages sont dédiés à l’oncologie, un étage étant consacré à la chirurgie, alors que le second à la neurochirurgie.
Quid de la recherche dans ce domaine se fait en Algérie ?
La recherche souffre en Algérie ! Il faut dire que nous ne disposons même pas de marqueurs pour réaliser de la biologie moléculaire, laquelle est incontournable pour classer les causes d’un cancer et cibler son traitement pour, enfin, en connaitre le pronostic. C’est dire combien la biologie moléculaire est importante ! En l’absence de ces moyens, il est très difficile de procéder à une thérapeutique ciblée. Il faudrait bien s’y mettre sinon on n’avancera jamais.
Professeur, le mot de la fin ?
Mon souhait est de voir les enfants bien pris en charge dans des structures adéquates à travers tout le territoire national. Depuis 2001, je me bats pour qu’il en soit ainsi. Je ne serais rassérénée qu’à partir de l’instant où les enfants seront pris en charge dans de bonnes conditions, c’est-à-dire : opérés en temps voulu, recevant les traitements conformément au protocole exigé et que les soins à domicile soient rendus possibles lorsqu’ils sont indiqués.
Aussi, le jour où seront lancés des soins de proximité afin d’éviter la galère des déplacements aux coûts onéreux. Le jour où ces problèmes seront réglés, alors enfants et familles seront moins peinés et on se dira que nous avons gagné la bataille.
J’insiste et je le dis encore : mon souhait est que l’enfant et sa famille ne souffrent plus, parce que lorsqu’un enfant est malade c’est toute la famille qui en souffre davantage. Si on règle le problème de l’enfant, c’est tout le problème de la famille et de la fratrie qui le sera aussi.
(*) Professeur Fatiha Gachi, chef d’unité d’onco-pédiatrie Centre Pierre et Marie Curie (CPMC).
Ait Ali. O.