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Amputation : pourquoi le cerveau continue de « sentir » le membre disparu

Edité par : Dr Salim BEENLEFKI | Docteur en neurosciences
2 septembre 2025

Une étude internationale récente apporte un nouvel éclairage sur le phénomène des douleurs et sensations fantômes vécues par les personnes amputées. Contrairement à ce que l’on pensait depuis plusieurs décennies, la « carte » du corps humain inscrite dans le cerveau ne se modifie pas après une amputation.

Les amputations constituent un problème de santé publique à l’échelle mondiale. Selon les données épidémiologiques les plus récentes, près de 10 millions de nouveaux cas d’amputations traumatiques sont recensés chaque année. En 2021, la prévalence mondiale s’élevait à plus de 445 millions de personnes vivant avec les conséquences d’une amputation.

Une autre étude estime qu’en 2019, 13,2 millions de nouveaux cas avaient été enregistrés dans le monde, pour une prévalence totale avoisinant 552 millions de personnes concernées. Ces chiffres illustrent l’ampleur du phénomène et ses répercussions sanitaires, sociales et économiques considérables.

  • Traumatismes liés aux accidents de la route, aux accidents domestiques ou professionnels, ainsi qu’aux conflits armés.
  • Maladies chroniques, notamment le diabète et les pathologies vasculaires périphériques, qui représentent une part croissante des amputations non traumatiques.
  • Cancers osseux et des tissus mous, parfois responsables d’amputations radicales à visée thérapeutique.

Au-delà du handicap fonctionnel, l’amputation impacte fortement la qualité de vie : douleurs chroniques, dépendance accrue, isolement social et difficultés d’accès à des soins de réadaptation ou à des prothèses adaptées, surtout dans les pays à faibles ressources.

Selon une étude menée conjointement par des chercheurs britanniques et américains, publiée dans Nature Neuroscience, le cortex somatosensoriel – zone du cerveau qui cartographie le corps humain – demeure étonnamment inchangé après une amputation.

Autrement dit, même si un membre disparaît, la représentation cérébrale de ce membre reste intacte. Cette découverte remet en question l’idée classique selon laquelle le cerveau se réorganiserait pour compenser la perte.

Des chercheurs s’étonnent : « Nous savions que la carte cérébrale persistait, mais l’ampleur de son intégrité était stupéfiante. C’est comme si le cerveau refusait d’accepter que la main n’est plus là. »

La majorité des personnes amputées rapportent des sensations dites fantômes. Il peut s’agir de picotements, de démangeaisons, de chaleur ou de douleur vive, localisées dans le membre absent. Ces ressentis sont réels, bien qu’aucun signal ne provienne du corps.

L’étude montre que l’activation cérébrale dans la zone correspondant au membre manquant est pratiquement identique à celle observée avant l’amputation. Pour le Dr Hunter Schone (Université de Pittsburgh), premier auteur de l’étude :« Nous n’avons observé aucun signe de la réorganisation supposée. Les cartes cérébrales sont restées statiques et inchangées. »

Les douleurs fantômes s’expliquent par un décalage entre le corps physique et son image cérébrale :

  • Le cortex somatosensoriel continue d’envoyer et de recevoir des signaux comme si le membre était encore présent.
  • Les voies nerveuses sectionnées au niveau du moignon peuvent générer une activité électrique anormale, envoyant de « faux messages » au cerveau.
  • Le système nerveux central tente d’interpréter ces signaux incohérents, ce qui se traduit par des douleurs fantômes intenses.

Ces phénomènes soulignent la complexité des interactions entre le cerveau, la mémoire corporelle et les nerfs périphériques.

Ces découvertes ouvrent des perspectives thérapeutiques prometteuses. Si la carte cérébrale persiste, elle peut devenir une cible de rééducation et de modulation neurologique.

Parmi les approches explorées :

  • La thérapie miroir, où le patient observe le reflet de son membre intact pour « tromper » le cerveau.
  • La réalité virtuelle et la réalité augmentée, permettant de recréer l’illusion du mouvement du membre disparu.
  • La neurostimulation (magnétique ou électrique transcrânienne), afin de moduler l’activité cérébrale.
  • La prise en charge psychologique et médicamenteuse, notamment par des antidépresseurs ou anticonvulsivants pour atténuer la douleur.

Les experts conseillent aux personnes amputées :

  • de signaler rapidement toute douleur ou sensation fantôme persistante à leur médecin,
  • de pratiquer régulièrement des exercices de rééducation pour stimuler la zone du moignon,
  • d’éviter l’isolement social, car le soutien psychologique et familial réduit l’impact de la douleur,
  • de consulter des spécialistes en médecine physique et réadaptation, qui peuvent proposer des traitements personnalisés.

La prévention des douleurs fantômes passe aussi par une prise en charge chirurgicale soigneuse lors de l’amputation, limitant les lésions nerveuses et favorisant la cicatrisation.

Les sensations fantômes rappellent à quel point le corps et l’esprit restent liés, même au-delà de la perte physique. Ces recherches montrent que le cerveau garde la mémoire du corps tel qu’il était, comme une empreinte indélébile.

Pour les patients, comprendre ce mécanisme est essentiel : ce qu’ils ressentent n’est pas « dans leur tête » au sens imaginaire, mais résulte d’un processus neurologique réel.

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